Sur la grève sauvage à la SNCF (France)

Publi? le 23 décembre 2022 dans Luttes


 

Compte-tenu du grand intérêt informatif sur les caractéristiques de la grève sauvage qui a éclaté début décembre 2022 dans les chemins de fer français, nous reprenons ici une note rédigée par Henri Simon (qui a fêté son centenaire ce mois-ci !) ainsi que des extraits d’un article publié par Le Prolétariat Universel et intitulé Une gifle aux syndicats complices des gouvernements :

 

NOTE de HENRI SIMON

Patronat, syndicats, partis politiques et gouvernement, dans une totale unanimité, ont condamné et fait semblant d’ignorer ce mouvement autonome des contrôleurs de la SNCF (qui viennent de ’bénéficier’ d’une promotion sémantique dans la novlangue des dominants puisqu’ils ont été renommés ’chefs de bord’). Pourtant, la CFDT avait déposé, pour couvrir ce mouvement, un préavis de grève, pas tant pour protéger les grévistes eu égard à la réglementation de la grève spécifique à la SNCF que pour pouvoir intervenir dans le règlement de ce conflit par la bande et vraisemblablement espérer récolter quelques adhésions. Mais sans penser de lancer un ordre de grève.

Le mouvement a débuté d’une manière inhabituelle, hors de toute intervention syndicale. Il est né d’une discussion entre les ’chefs de bord’ qui s’est formalisée dans une boucle WhatsApp puis un groupe Facebook qui regroupe actuellement 3.500 des 10.000 ’chefs de bord’. Mais en vertu du principe officiel : on ne négocie pas avec des organismes autonomes qui ne font pas partie des structures officielles de négociation, les seules admises. Dans le passé, ce fut le cas avec la grève des infirmières de 1988 lancée par l’Association de infirmiers et en 1995 avec les comités de coordination de la SNCF. Un conflit du même genre en Suède dans la mine de fer de Kiruna avait vu la constitution d’une organisation autonome de type syndical. Ce furent donc des discussions de la direction SNCF avec les syndicats qui aboutirent à un accord reprenant les revendications du collectif indépendant des chefs de bord. Et, pour être sûr que le collectif devait abandonner la grève, la CFDT retira le préavis, ce qui plaçait le collectif dans une totale illégalité et autorisait des sanctions contre ceux qui poursuivraient la grève. Quelque temps auparavant des interventions avaient fait fermer les sites qui permettaient les coordinations et consultations entre les 3.500 ’chefs de bord’.

La manière dont ce conflit de base autonome a été réglé montre une fois de plus l’exclusion par tous les moyens de toute organisation qui sort des sentiers battus.

 

EXTRAITS du PROLETARIAT UNIVERSEL

Cette lutte bouleversante pour les médias soumis vient magnifiquement faire rejaillir les acquis des luttes des années 1960 en Europe et les leçons de la tentative de révolution en Allemagne en 1919, tout comme celle du courant conseilliste ’hollandais’. Il ne s’agit pas d’un phénomène isolé ou qui serait strictement ’français’ mais bien d’une réponse à une situation dangereuse et problématique au niveau mondial… (…) Cette fraction du prolétariat montre la voie pour prendre en main, non seulement la lutte locale, mais les destinées d’une humanité livrée au chaos par des bourgeoisies de plus en plus irresponsables et criminelles. La grève sauvage, ’inattendue’, ’hors du contrôle des collabos syndicaux de base ou du sommet’ n’est pas la révolution mais elle y conduit (…) c’est une gifle gréviste qui vient rappeler l’ordre bourgeois à la réalité de la lutte des classes.

La grève qui a paralysé une partie du réseau des grandes lignes (TGV et Intercités) ce week-end de début décembre n’a pas été amorcée par les syndicats, mais par un collectif informel, né d’une boucle WhatsApp et d’une page Facebook. Hors des instances syndicales, ce mouvement de contrôleurs mécontents est composé de quelques milliers de salariés réunis derrière un collectif non-élu, organisé entièrement sur les réseaux sociaux. Son ampleur a surpris : ces 3 et 4 décembre, la grève amorcée par le collectif a entraîné la suppression de 60 % des TGV. Quasiment inédit à la SNCF, ce mouvement de mécontentement spontané en rappelle d’autres dans des secteurs différents, comme celui du collectif Inter-Urgences qui a émergé à l’hôpital en 2019. A la faveur d’une défiance grandissante envers les mouvements syndicaux et une démocratie représentative ficelée dans des organes bureaucratiques opaques, des collectifs affinitaires émergent sur les réseaux sociaux… (…).

A la SNCF, tout est né d’une boucle WhatsApp : « Cela faisait plusieurs mois qu’un autre contrôleur et moi parlions sans arrêt de nos problèmes et de nos attentes. Nous l’avons élargi à plusieurs autres personnes à Marseille, et dans d’autres régions », explique Olivier, l’un des membres à l’initiative du mouvement, qui travaille dans la métropole marseillaise. Très vite, les deux contrôleurs décident de créer une page Facebook pour rendre leur conversation plus accessible. Cette dernière a été baptisée « collectif national ASCT ». (…) il s’agit bien d’une réaction de classe fulgurante, par des voies inhabituelles et confondantes pour les collabos syndicaux, qui nous rappelle les belles heures des grèves en dépit des syndicats post 68.

Il ne s’agit pas d’une simple grève ’revendicativiste’, ’contre la vie chère’ (…) ou pour des hausses de salaires, mais pour protester contre des conditions de travail aléatoires, les agressions incessantes, etc. Les patrons de la SNCF croyaient, en plus d’une augmentation de 12 % des salaires de l’ensemble des cheminots sur deux ans, satisfaire les contrôleurs entre autres choses par une hausse d’1,5 % supplémentaire. Une présumée victoire pour les collabos syndicaux qui n’appelaient pas à la grève, puis, estomaqués, ont vu le collectif la déclencher. Plus comique, et du jamais vu, le sous-fifre ministre des Transports a tenu à faire une distinction entre les organisations syndicales et les cheminots qui ont décidé de se mettre en grève : « Hors syndicat, hors cadre, hors dialogue social organisé, il y a des phénomènes qui peuvent être extrêmement bloquants et pénalisants », a déclaré Clément Beaune, jugeant « inquiétant » un mouvement qui émerge hors des organisations traditionnelles. Des initiatives qui pourraient instaurer « une prime à la surenchère », selon ce pathétique ministre.

« Le dialogue social, ce n’est pas le désordre général », a ajouté Clément Beaune, avant de s’adresser directement aux grévistes : « le seul moyen de défendre les intérêts légitimes d’un travailleur, le seul moyen de ne pas pénaliser les Français et d’avoir un service public de qualité, c’est le dialogue social ». Un appel à se soumettre aux syndicats : ‘je suis partout pour servir le gouvernement capitaliste’. Au sein du gouvernement, Clément Beaune n’est pas le seul à s’en prendre aux ‘mouvements radicaux’. Ministre de l’Économie, Bruno Le Maire a également opposé ce jeudi 22 décembre les « syndicats responsables » à « quelques grévistes » qui se mobilisent : « Je compte sur les syndicats, qui représentent les salariés de la SNCF, pour, dans les heures qui viennent, trouver une solution », a déclaré le larbin de Macron à Sud Radio.

L’emploi de ce ton bienveillant à l’égard des syndicats n’est pas un hasard dans ce cas particulier, car la grève des aiguilleurs SNCF a été décidée hors cadre syndical, par ce Collectif créé sur des réseaux pourtant considérés comme conservateurs voire délirants, ASCT (Agents du service commercial trains), né sur les réseaux sociaux et qui rejette toute accointance avec les syndicats traditionnels et ne pose pas de simples revendications catégorielles mais d’une nature ‘extensive’ qui concerne les conditions de travail en général de la classe ouvrière.

Un mouvement d’affranchissement de tout contrôle syndicalo-gouvernemental - et inédit — dont le gouvernement remet en cause la légitimité ou plutôt la liberté d’agir. Comme le dénonce le principal syndicat collabo : « Il y a eu des avancées, mais malgré, il y a un collectif, hors des organisations syndicales, qui a décidé de la grève. La CFDT n’est pas d’accord avec cette grève au moment de Noël », s’est désolidarisé sur BFMTV le principal larbin gouvernemental Laurent Bergé, bonze de la CFDT.

Sans aller jusqu’à désavouer les grévistes, Sud Rail et la CGT n’ont pas appelé à arrêter le travail, et l’Unsa-Ferroviaire a retiré son préavis à la suite de négociations avec la direction. D’où cette volonté de la part du gouvernement de vanter les voies traditionnelles du dialogue social. Ce que mendie par ailleurs le président de la SNCF, Jean-Pierre Farandou : « Je ne comprends pas cet appel à la grève. Il n’y a aucun appel à la grève d’aucun syndicat », a-t-il regretté sur RTL, avant d’ajouter : « je vois les syndicats demain. Le dialogue social se poursuit parce qu’on ne lâche pas l’affaire ». Négociation piège à cons !

PS : c’est sûr que la période vacancière n’est pas la plus favorable à une popularité de la grève, mais les grévistes d’internet n’ont probablement pas eu le choix. Le plus cocasse ou pervers est que le patronat de la SNCF aurait prévu de rembourser le double des billets... pour rendre encore plus impopulaire la lutte de classe ou pour se faire passer pour l’ange blanc ?

En Grande Bretagne, la masse des ouvriers en grève se fiche parfaitement des grandes bouffes de fin d’année, et la lutte est en phase de développement ... exemplaire pour les autres pays.



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