Publi? le 14 octobre 2009 dans Psychologie
« Je suis en réalité pas du tout un homme de science, pas un observateur, pas un expérimentateur, pas un penseur. Je ne suis par tempérament rien d’autre qu’un conquistador – un aventurier, si tu préfères – avec toute la curiosité, l’audace et la ténacité caractéristiques d’un homme de cette trempe. »
(Sigmund Freud, 1900) [1]
La Gauche communiste internationaliste a très peu publié sur la psychanalyse ou d’ailleurs sur la psychologie en général. Pourtant, l’impact de la psychanalyse sur la société a été énorme : elle peut même être considérée comme une des principales idéologies du 20ème siècle. Elle a directement affecté la vie privée de centaines de millions de familles dans la période autour de la Seconde guerre mondiale ; elle a influencé le monde des affaires et celui du marketing et de la publicité – elle a même inspiré l’art et la littérature. Elle a contribué à la création de tout un nouveau vocabulaire qui est venu s’ajouter au langage usuel.
Par l’intermédiaire de la « psychologie de masse » elle a aussi largement contribué à une redéfinition de la façon de diriger les populations récalcitrantes pour en faire des citoyens enthousiastes et responsables soumis à l’Etat national. La propagande guerrière est devenue plus efficace dans le recrutement de la chair à canon par des techniques plus persuasives : manipulation de l’« inconscient » en jouant sur les « instincts ».
Les fascistes, les staliniens tout comme les démocrates en ont fait amplement usage pour mieux adapter leur système de domination. C’est dans la période pendant laquelle la classe ouvrière était défaite et mobilisée derrière les drapeaux nationaux que cette idéologie a pu vivre ses moments de gloire alors que, pour plusieurs raisons, elle à tendu à marquer le pas après les années 1960.
Pendant des décennies les psychanalystes durent rivaliser avec les psychologues positivistes, expérimentalistes, scientifiques [2] ; ils en furent aussi un complément largement apprécié. Les psychologues expérimentalistes, à leur tour, rendirent leurs propres services aux politiques étatiques, isolant l’individu de son contexte social, prétendant représenter la « science de la nature humaine » [3]. On peut argumenter que la psychanalyse a été un obstacle au développement de la psychologie moderne. Mais on peut tout aussi argumenter que les psychologues expérimentalistes, en particulier les comportementalistes, les neurobiologistes et les généticiens, auront toujours besoin d’un complément d’une certaine forme de psychanalyse pour leur propre réductionnisme.
Les explications biologiques et individuelles n’apportent que très peu à notre connaissance fort limitée de la « psyché humaine » qui est sociale par nature. Cependant, en comprendre un minimum est d’autant plus urgent que la crise actuelle, économique, politique et sociale, risque au premier chef de provoquer des « psychoses collectives » plutôt qu’une conscience de classe.
Aujourd’hui, pour beaucoup dans la très respectée « communauté scientifique internationale », Sigmund Freud et la psychanalyse n’ont pas disparu. En 2006, année Freud célébrant le 150ème anniversaire de la naissance de la légendaire « découvreur de l’inconscient », il y eut même un renouveau : une campagne émanant principalement des neurobiologistes matérialistes naturalistes, a été menée dans toutes sortes de journaux et revues généralistes et scientifiques, et surtout dans des périodiques de vulgarisation scientifique, avec des pages de couverture comme « La recherche neurologique confirme les théories de Freud » ou « Le retour de Freud » [4]. Ceux qui n’étaient pas d’accord furent montrés du doigt comme « détracteurs de Freud », alors qu’aucune tentative de réponse aux critiques pourtant fondamentales exprimées à l’encontre de la psychanalyse n’était formulée. Mais les scientifiques les plus sérieux, quelle que soit leur école de pensée ou leur évolution antérieure, considèrent les théories de Sigmund Freud avec la même circonspection que celles de Rudolf Steiner [5].
La psychanalyse est surtout présente à l’heure actuelle dans des pays comme l’Argentine et la France, sous la forme du Lacanisme, et elle est aussi très présente dans les librairies avec toute une littérature impressionnante qui, cependant, n’existe même pas dans d’autres langues que le français ou l’espagnol [6]. La psychanalyse lacanienne constitue certainement une caricature de la pensée, indubitablement très profonde [7] et avant tout spéculative [8], de Sigmund Freud. Mais comme elle s’était présentée comme un « retour à Freud » au moment où la plupart des psychothérapeutes tendaient à s’éloigner de la théorie elle-même – les fantasmes sexuels du Vieux maître devenaient trop embarrassants, contre lesquels en particulier des femmes commençaient à se révolter – elle ne pouvait guère être présenter comme une régression par rapport à la « vraie » psychanalyse freudienne. Qu’a dit le grand Jacques Lacan, à la fin de sa vie :
« Notre pratique est une escroquerie, bluffer, faire ciller les gens, les éblouir avec des mots qui sont du chiqué, c’est quand même ce qu’on appelle d’habitude du chiqué [...] Du point de vue éthique, c’est intenable, notre profession ; c’est bien d’ailleurs pour ça que j’en suis malade, parce que j’ai un surmoi comme tout le monde. [...] Il s’agit de savoir si Freud est oui ou non un événement historique. Je crois qu’il a raté son coup. C’est comme moi, dans très peu de temps, tout le monde s’en foutra de la psychanalyse. » [9].
La forme spécifique de l’« inconscient » de Sigmund Freud, rempli d’« instincts sexuels » difficiles à définir [10], a été un plagiat des vitalistes [11] comme Arthur Schopenhauer [12], Eduard Hartmann et Friedrich Nietzsche. Elle se situe à l’opposé du concept d’« aliénation » de Georg Wilhelm Friedrich Hegel avec ses racines sociales tel que Karl Marx le développera ultérieurement.
Au 19ème siècle des masses d’« aliénés » avaient commencé à remplir toujours plus ces nouveaux lieux misérables qu’étaient prisons et asiles pour « fous ». D’un petit millier au début du 19ème siècle en Europe, ils étaient des centaines de milliers à se retrouver enfermés dans des institutions à la fin du siècle. Ils étaient privés, « aliénés » de leurs moyens de subsistance et donc aussi de leur propre être avec lequel ils perdaient autant le contact qu’avec la réalité. Ils avaient perdu leur fierté, leur dignité et leur honneur. A la fin du 18ème siècle, Philippe Pinel – qui voyait le contexte social du problème – parlait d’« aliénation mentale ». Tout cela était vu par les matérialistes naturalistes et les vitalistes comme le résultat inévitable des « instincts » devenus incontrôlables comme une « dégénérescence » inévitable, physiquement et moralement irréversible et transmissible au sein des « plus basses couches de la société » [13]. C’est dans ce contexte qu’est née l’idée de « impulse inconscient ».
Après la guerre franco-prussienne de 1870 et l’écrasement de la Commune de Paris, l’attention s’est écartée de plus en plus des contradictions sociales pour se porter sur les mystères de l’esprit de l’individu ; cela donna naissance à tout un mouvement « psychique » de « libre-penseur » [14]. Vienne en devint un des principaux centres ; ce n’est pas seulement la psychanalyse, mais aussi la Théosophie qui y virent le jour. Les psychanalystes furent organisés dans l’Association psychanalytique, très éloignée de la communauté scientifique, tout comme les Théosophistes furent organisés séparément dans leur Société théosophique. Le matérialisme naturaliste a pu y être aisément combiné avec le « spiritualisme ». Là également, les conflits pouvaient être traités dans un comité secret, par une surveillance de la loyauté des membres, et non en essayant de les résoudre par un débat public [15].
Il nous faut aussi traiter des trois grandes prétentions de la psychanalyse :
– 1 La psychanalyse serait une méthode d’investigation de l’esprit. La méthode de Sigmund Freud a consisté en une « introspection » [16] et une observation de ses propres enfants. Il n’a jamais appliqué une méthode comparative basée sur des grands nombres, ou utilisé des données quantifiables et comparables ; les « études de cas » très peu nombreuses qu’il a publiées – sous la forme d’histoires attirantes, façon enquête de détective – après vérifications, se sont révélées être des mystifications.
– 2 La psychanalyse constituerait un corps de connaissances systématisé sur le comportement humain. Mais les « névroses » [17] n’existent plus comme telles dans la classification de la psychiatrie moderne. Les « souvenirs refoulés » sont un sujet marginal avec lequel il faut être très prudent car il y a très peu de moyens de vérifier si un souvenir fait référence ou non à un évènement passé réel, puisque les « souvenirs refoulés » sont aussi créés facilement par la « thérapie ». Le reste consiste en des idées nauséabondes sur les « pulsions sexuelles » des très jeunes enfants et des bizarreries comme le « Complexe d’Oedipe », l’« angoisse de la castration », l’ « envie de pénis » et les « fixations » « orales » et « anales ». Les concepts flous de « libido » et d’« Eros » sont typiquement vitalistes. Dans Le Moi et le ça (1923) Sigmund Freud a aussi postulé une sorte d’« énergie psychique » constante [18], sans même la définir ni dire comment elle pourrait être mesurée, d’où elle vient et où elle va.
– 3 Finalement, la psychanalyse serait une méthode de traitement de la « maladie psychologique ou émotionnelle », quelle qu’elle soit [19]. Non seulement le succès thérapeutique de la psychanalyse est sujet à caution, mais si on le mesure en comparant le sentiment subjectif du « bien être » avant et après le traitement, il n’est certainement pas meilleur qu’un pèlerinage à Lourdes ou l’intervention d’un quelconque guérisseur. Et le désaccord avec un psychanalyste est également difficile, puisque ce désaccord peut constituer une « confirmation » de l’analyse et la preuve d’une « résistance inconsciente » contre lui.
Ensuite, il y a quelques questions qui mettent même en doute l’intégrité de Sigmund Freud et de ses disciples :
– 1 En question, le fait qu’il a étendu mécaniquement sa psychologie individuelle à l’anthropologie et l’histoire de l’humanité comme un tout. Il a posé comme postulat l’existence d’une « horde primitive » et a créé le mythe d’une bande de rejetons d’espèce de gorilles tuant leur père parce qu’ils voulaient avoir des relations sexuelles avec leur mère. Sa principale source d’inspiration était le raciste français Gustave Le Bon et il était couvert de l’autorité d’une lecture erronée de Charles Darwin [20].
– 2 Les psychanalystes comme Sigmund Freud, Alfred Adler, Carl Gustav Jung, Sandor Ferenczi, Otto Rank, Wilhelm Reich, Melanie Klein, Erich Fromm, Karen Horny, Bruno Bettelheim et Jacques Lacan ont tous formulé des théories qui se contredisaient entre elles. Ce qu’ils ont en commun c’est leur résistance à la vérification [21]. La plupart a même prétendu que leurs résultats thérapeutiques ne seraient pas ouverts à vérification [22] du fait que leur travail porte sur le sentiment subjectif du « bien être ». Ils obtiennent la « guérison » par « l’écoute » et « quelques conseils » – ce que font aussi les prêtres catholiques, les pasteurs protestants, les imams islamiques et les gourous hindous, et, contrairement aux psychanalystes, en général gratuitement [23].
– 3 L’histoire officielle de la psychanalyse, telle qu’elle a été développée par le biographe de Sigmund Freud, Ernest Jones, s’est révélée être une mystification complète, visant à cacher le fait que Sigmund Freud était, comme il est démontré dans de plus en plus d’études dont nous résumerons l’essentiel des résultats, un menteur pathologique, un bavard et un escroc, un fervent croyant dans le paranormal et la métaphysique, pour en arriver au « méta-psychologique », c’est-à-dire des théories pseudo-scientifiques.
– 4 Enfin, il nous reste à poser la question du rapport de Sigmund Freud au marxisme et au mouvement ouvrier et la vraie nature de son « humanisme », non seulement il travailla exclusivement pour les gens riches et célèbres de son époque, jamais montrant le moindre intérêt pour ceux exclut de la société et enfermé dans les institutions de son époque, mais il est aussi très difficile de maintenir qu’il ait pris une quelconque position sérieuse dans les questions hautement politiques à laquelle il était confronté.
Sous sa forme la plus innocente, la psychanalyse n’est pas moins amusante que l’astrologie ou le Da Vinci Code. Mais elle va beaucoup plus loin jusqu’à prendre une tournure suspecte. Cela en est même dangereux, précisément parce qu’elle prétend être scientifique et qu’elle peut sérieusement affecter la « psychologie » de ses victimes.
Ceux qui pourraient penser qu’il pourrait y avoir « quelque chose de juste » dans les théories psychanalytiques pourraient aussi essayer de prendre en considération que Sigmund Freud a tellement écrit qu’il est statistiquement hautement improbable que tout soit faux. La règle générale est : lorsque c’est juste, ce n’est pas l’exclusivité de la psychanalyse freudienne ; lorsque c’est propre à la psychanalyse freudienne, c’est faux.
Les psychanalystes proclament : « Ne vous faites pas confiance, faites-nous confiance ». Comme tel c’est un excellent moyen de manipuler ceux qui y croient et d’abuser de leur confiance. Les psychanalystes freudiens poussent leurs victimes dans le narcissisme, à se retourner sur eux-mêmes et à s’enfermer dans leur propre passé privé ; leur demandant systématiquement de ne pas se fier à leurs propres motivations [24]. Tout cela a été immortalisé dans les films de Woody Allen [25].
Les quelques résultats de la psychologie « positiviste » expérimentale ne semblent pas incompatibles avec la conception matérialiste de l’histoire [26] ; c’est leur transformation en une idéologie réductionniste qui a au contraire posé de sérieux problèmes. Par contre la psychanalyse s’est opposée à ces résultats dès le début, et a pu, en l’absence d’une sérieuse critique marxiste, influencer négativement le mouvement ouvrier :
– 1 On trouve déjà l’influence du « mouvement psychique » au tournant du siècle dans les derniers travaux du co-fondateur de la théorie de la sélection naturelle, le socialiste Alfred Russel Wallace, et dans l’influence qu’il a eu sur les socialistes « fabiens » George Bernard Shaw et Annie Besant [27], avec des liens avec Mme Blavatsky et Rudolf Steiner à Vienne. La psychanalyse faisait partie du mouvement « psychique » et était influente dans les cercles austro-marxistes avant la Première guerre mondiale : les fameux premiers patients « névrosés » de Sigmund Freud étaient des sœurs d’austro-marxistes [28] connus.
– 2 Le bolchevik Adolph Joffe, atteint de troubles nerveux lorsqu’il s’exila à Vienne en 1908, fut « psychanalysé » par Alfred Adler ; Léon Trotsky, arrivant à Vienne peu de temps après, fut impressionné et voulut garder ouverte la question de la base scientifique de la psychanalyse [29] ; Lénine pour sa part dénonça la psychanalyse comme une « mode éphémère » et celle-ci s’implanta très peu en Union Soviétique. Pourtant, le fils de Joseph Staline, Vassili assista à la « Maternelle blanc » psychanalytique à Moscou ; l’école fut fermée en 1925 et la Société Russe de Psychanalyse fut officiellement réprimée en 1930 [30].
– 3 La psychanalyse influença aussi plusieurs branches de l’anarchisme.
– 4 En Allemagne, la psychanalyse eut quelque écho au début dans le mouvement ouvrier à travers les écrits de Siegfried Bernfeld et d’Otto Fenichel, pour échouer dans l’aventure stalino-freudienne de Wilhelm Reich et de ses disciples en 1929-1930 [31].
– 5 Otto Rühle et sa femme Alice Rühle-Gerstel se prononcèrent en faveur de la « psychologie individuelle » adlerienne, en opposition à la psychanalyse freudienne [32]. D’autres « communistes de conseils », comme Paul Mattick et Anton Pannekoek, rejetèrent explicitement la psychanalyse freudienne [33]. Henriette Roland-Holst fit exception plus tard lorsqu’elle s’éloigna du mouvement ouvrier pour aller vers le moralisme, le spiritualisme et la psychologie. Les représentants de la Gauche italienne comme Amadeo Bordiga n’ont jamais montré de signes d’une adhésion aux principes de la psychanalyse, mais il ne semble pas qu’ils se soient beaucoup préoccupés de la question.
– 6 Au sein du groupe français Socialisme ou Barbarie, Cornelius Castoriadis, lorsqu’il rompit avec le marxisme, adopta le lacanisme en 1964 ; en 1969 il préféra fonder sa propre école en pratiquant lui-même la psychanalyse à partir de 1974.
Il n’y a pas beaucoup plus d’échos que cela dans le mouvement ouvrier, mais il faut néanmoins les examiner [34]. Il est important de noter que la psychanalyse ne fut jamais appliquée à l’explication de faits historiques, ni même pour expliquer le comportement des individus. Leon Trotsky par exemple, bien qu’il fût très « psychologique » dans son approche des individus, jugeant trop facilement tous les caractères, n’essaya jamais de clarifier le comportement en termes psychanalytiques. Apparemment, il n’en avait pas besoin ; ce qu’il avait à dire venait de ses propres observations empiriques et de son expérience de la vie, non d’une quelconque théorie générale.
En revanche, il y a une triple preuve de l’impact de la psychanalyse sur la gauche bourgeoise :
– 1 La pensée psychanalytique devint populaire via la dite Ecole de Francfort, avec beaucoup de penseurs différents comme Herbert Marcuse, Theodore W. Adorno, Max Horkheimer, Walter Benjamin, ou même, si on peut toutefois les classifier dans cette « Ecole », Erich Fromm et Karen Horney, tous deux anciens adeptes de Wilhelm Reich.
– 2 Le stalino-freudisme de Wilhelm Reich connut un retour dans les années 1970, particulièrement en Allemagne et aux États-Unis, parce que ses derniers travaux semblaient critiques envers la « politique sexuelle » de l’Union soviétique stalinienne et parce que cela coïncidait avec la « révolution sexuelle » des années 1960.
– 3 Un livre-culte hippie de Norman O. Brown, intitulé Eros et Thanatos [35], apparut un temps comme un complément intéressant aux marxisme sous la forme de la dichotomie stérile sensée tout expliquer entre les forces mystiques de la vie et de la mort, très proche de la dichotomie stérile du Yin et du Yang dans le bouddhisme zen.
Bien sûr, les nouveaux groupes qui ont surgi dans cette période, inspirés par la Gauche communiste internationaliste, manquant d’expérience historique, ont été beaucoup influencés par l’ambiance générale dans la société. Et tout en innovant dans une certaine mesure véritablement par rapport aux positions des générations précédentes, ils ont en même temps tendu à adopter tout ce qui semblait « nouveau » et « révolutionnaire ». La « psychologie du divan » pouvait alors même être promue comme une « alternative scientifique » à la « psychologie de cuisine » si chère aux intrigants bourgeois [36].
18 septembre 2009, Vico
(Traduit de l’anglais par OP, le 28 septembre 2009)
[1] Lettre à Wilhelm Fliess, 1er février 1900.
[2] On passe sous silence généralement que la véritable fondation de la psychologie moderne se trouve dans L’expression des émotions chez l’homme et l’animal de Charles Darwin, 1872. La psychologie comme science séparée a été développée plus tard par l’américain Williams James (Principles of Psychology, 1890, Principes de psychologie) et l’allemand Wilhelm Wundt (Grundzüge der physiologischen Psychologie, Principes de psychologie physiologique, 1873-1874 et surtout Grundriß der Psychologie, Principes de psychologie, 1896). Tous deux fondèrent un laboratoire de recherche psychologique en 1875, peu de temps après la publication de Charles Darwin. Ils donnèrent immédiatement une orientation mécaniste, réductionniste et déterministe à la psychologie, ce qu’on ne retrouve pas dans les travaux de Charles Darwin lui-même, et ils assimilèrent aussi « évolution » à « progrès ».
[3] Voir par exemple Frank A. Geldard, Fundamentals of Psychology, New York, John Wiley & Sons, 1962 (non traduit en français). Sur « L’essence de la nature humaine », qu’on peut aussi appeler l’ « âme humaine » il n’a pas été dit beaucoup plus que c’est « plus compliqué » que pour les autres animaux et aussi que c’est « moins prévisible ». Ce qui n’aide pas beaucoup ! On nous affirme que c’est une question de « motivation, d’apprentissage et de perception ». Ce qui n’aide pas beaucoup non plus car c’est aussi vrai pour les poissons, les amphibiens, les reptiles, les oiseaux et les mammifères. Il ne faut pas se laisser intimider par le langage mathématique élaboré qui enveloppe la maigreur de la théorie. C’est principalement des statistiques des relations de personne à personne qui « suggèrent » une certaine « corrélation » sans qu’il n’y ait nécessairement une « cause » correspondante. Tout à fait logiquement du fait qu’il y a des douzaines de « variables » qui entrent en jeu, l’esprit humain est beaucoup trop complexe pour être enfermé dans de simples équations mathématiques.
[4] Y inclus dans Scientific American, février 2006, et Der Spiegel, le magazine allemand, en mai 2006, des neurobiologistes freudiens bien connus sont Oliver Sacks et Antonio Damasio.
[5] Le fait que les livres de Sigmund Freud et Rudolf Steiner furent brûlés par les Nazis ne peut guère être utilisé comme argument en faveur de leurs théories.
[6] Il y a eu en France l’affaire Bénesteau en 2002 – une campagne outrancière de calomnies en guise d’argumentation dans l’Humanité et Le Monde – avec des accusations infondées d’antisémitisme et un pathétique « Pourquoi tant de haine contre nous ? » de la stalinienne recyclée Élisabeth Roudinesco, la diva de la psychanalyse française. Voir Jacques Bénesteau, Mensonges freudiens. Histoire d’une désinformation séculaire, Mardaga, 2002. Il est étonnant que ce livre ait provoqué un tel scandale car il a été précédé (liste non exhaustive) par : Pierre Debray-Ritzen, La scolastique freudienne, Paris, Fayard, 1973 ; Frank J. Sulloway, Freud biologiste de l’esprit, Paris, Fayard,1979 (Freud, Biologist of the Mind : Beyond the Psychoanalytic Legend, 1979) ; Jacques Van Rillaer, Les illusions de la psychanalyse, Bruxelles, Mardaga, 1980 ; Sherry Turkle, La France freudienne, Paris, Fayard, 1981 ; Patrick J. Mahony, Freud l’écrivain, éd Belle Lettres, 1982 ; Hans Jürgen Eysenck, Déclin et chute de l’Empire Freudien, Paris, De Guibert, 1985 (Decline and Fall of the Freudian Empire, 1985) ; Paul Roazen, La Saga freudienne, Paris, P.U.F., 1986 ; Renée Bouveresse, Les critiques de la psychanalyse, Que sais-je, n̊2620, Paris, P.U.F., 1991 ; Pierre Debray-Ritzen, La psychanalyse, cette imposture, Paris, Albin Michel, 1991 ; Adolf Grünbaum, La psychanalyse à l’épreuve, Paris, L’Éclat, 1993 (Validation in the Clinical Theory of Psychoanalysis, A Study in the Philosophy of Psychoanalysis, 1993) ; Henri F. Ellenberger, Histoire de la découverte de l’inconscient, Paris, Fayard, 1994 (The Discovery of the Unconscious, New York, Basic Books, 1970) ; Adolf Grünbaum, Les fondements de la psychanalyse, une critique philosophique, Paris, P.U.F., 1996 ; (The Foundations of Psychoanalysis : A Philosophical Critique, 1984). Malgré le scandale et le risque de poursuites légales en France, il a été suivi (liste non exhaustive) par : André Haynal et Paul Roazen, Dans les secrets de la psychanalyse et de son histoire, Paris, P.U.F., 2005 ; Catherine Meyer (dir.), Le Livre noir de la psychanalyse. Vivre, penser et aller mieux sans Freud, Les Arènes, coll. Documents, 2005 ; Jacques Van Rillaer, Le freudisme et les rationalismes, Lyon, 2006 ; Mikkel Borch-Jacobsen, Sonu Shamdasani, Le dossier Freud : Enquête sur l’histoire de la psychanalyse, Empêcheurs de Penser en Rond, 2006 ; René Pommier, Sigmund est fou et Freud a tout faux. Remarques sur la théorie freudienne du rêve, éditions de Fallois, 2008. Ce sont des auteurs d’écoles de pensée très différentes ; plusieurs d’entre eux ont été eux-mêmes de fermes défenseurs de la psychanalyse. En anglais, la liste est beaucoup plus longue.
[7] « Mon article sur la psychanalyse a été bien accueilli. Je crois bon de prendre de la hauteur scientifique et d’enrober le tout de mots tels que ‘profond’, ‘à fond’, ’pénétrant’ » (Ernest Jones à Sigmund Freud, 14 février 1910, dans Correspondance complète, Paris, P.U.F., 1998, p. 94, cité dans Le livre noir, p. 275).
[8] Bien sûr, il peut y avoir de grandes idées spéculatives qui restent dans l’ombre de la science pendant un temps. Charles Darwin écrivait avec sagesse : « Je crois fermement que sans spéculation il n’y a pas d’observation bonne et originale. » (Lettre à Alfred Russell Wallace, 22 décembre 1857). Mais en premier lieu, la psychanalyse n’a jamais été présentée comme une spéculation ou une « hypothèse » ; en second lieu – contrairement à Charles Darwin qui travailla pendant des décennies avant de publier quoi que ce soit – Sigmund Freud n’a jamais recherché de confirmation scientifique à aucune de ses spéculations – il affirmait simplement que son « intuition » était une garantie suffisante pour la validité de sa « thérapie ».
[9] Cité dans Le livre noir, p. 114. Jacques Lacan postulait que l’ « inconscient » ne pouvait pas être compris rationnellement, mais devait être appréhendé par l’ « inconscient » lui-même. Ce qui veut dire que l’ « inconscient » de l’ « analyseur » est devenu le centre de l’attention et l’ « analysé » doit essayer de trouver un sens à son charabia et le payer pour cela. “La psychanalyse est une pratique de parole et en cela elle se rapproche des psychothérapies. Mais contrairement à celles-ci elle ne fait recours ni à la suggestion, ni à la production du sens et ne vise pas à faire taire le symptôme. C’est une pratique de parole qui vise la jouissance silencieuse, inter-dire, hors sens, qui habite le symptôme. Elle est la seule discipline qui vise à modifier la morsure de la parole sur la chair, la seule qui vise à toucher le joint du signifiant avec le vivant et sa jouissance. C’est un manière de la définir.” (Tiré d’une invitation à des séries de conférences en 2009-2010 du Forum psychanalytique de Bruxelles - lacanien). Il y a certainement d’autres moyens de la définir.
[10] C’est un des nombreux mythes que Sigmund Freud aurait brisé un tabou en discutant ouvertement de sexualité ; tout ce qu’il a fait a été de lancer des platitudes et les préjugés de son environnement social, évidemment au grand dam de son entourage.
[11] Le vitalisme invoque un principe vital pour expliquer le monde, appelé le « volonté », l’« étincelle vitale », l’« énergie psychique » ou « élan vital », il peut aussi être appelé « âme », l’univers serait guidé par une sorte de « volonté » pas nécessairement conscient, cherchant à « se réaliser » lui-même ; il est parfois restreint à la nature vivante.
[12] Dans Au-delà du principe de plaisir (1920) Sigmund Freud écrit : « Nous avons involontairement orienté notre cours dans la philosophie de Schopenhauer. » C’est plutôt de là où il est parti depuis le début.
[13] Pour les causes de la véritable dégénérescence physique et morale de la classe ouvrière au 19ème siècle, voir pour commencer Friedrich Engels Les conditions de la classe ouvrière en Angleterre, 1844.
[14] Sigmund Freud resta toute sa vie un membre de la loge maçonnique B’nai B’rith. En 2003 une loge de cette branche de la Franc-maçonnerie appelée Sigmund Freud a été fondée à Paris.
[15] Les premiers psychanalystes tels qu’Alfred Adler, Carl Gustav Jung, Sandor Ferenczi, Otto Rank allait l’éprouver à leurs propres dépends.
[16] Ironiquement, tous les premiers psychanalystes passèrent obligatoirement sur le divan de Sigmund Freud (en particulier ceux qui étaient en désaccord avec lui), mais Sigmund Freud lui-même n’a jamais été sur le divan de qui que se soit.
[17] L’ironie est que la distinction originale entre « névroses » et « psychoses » était entre ce qui était vu comme venant des « nerfs » et ce qui était vu comme venant du « psychique ». Sigmund Freud, au contraire, tient les « névroses » pour être psychologiques et les « psychoses » pour être physiologiques et non traitable par la psychanalyse.
[18] L’idée d’une sorte d’« énergie psychique » constante a été un plagiat par Sigmund Freud du physiologiste allemand Ernst Wilhelm von Brücke ; elle n’existe pas seulement dans toutes sortes d’idéologies matérialistes vulgaires et vitalistes, mais même dans le Prana du livre mystique indien les Upanishads, et de là on peut la retrouver dans William Blake et la Théosophie.
[19] L’histoire de la classification psycho-pathologique, depuis Emil Kraepelin jusqu’au moderne DSM, sera traitée ultérieurement.
[20] Cela a été développé ultérieurement par le neveu de Sigmund Freud, Edward Bernays et en Grande-Bretagne par Wilfred Trotter.
[21] Les définitions des concepts en psychanalyse sont si vagues et flexibles que les efforts pour vérifier empiriquement leur validité sont tout aussi inutiles que d’essayer de vérifier si oui ou non Jésus peut vraiment avoir eu un enfant avec Marie-Madeleine et si le roi Mérovée est un descendant de cet enfant.
[22] Roy Grinker était présent lorsque Sigmund Freud reçut un document avec les résultats d’une recherche expérimentale qui semblaient confirmer la théorie du souvenir refoulé : « Freud jeta cette lettre par terre avec colère, en disant : « la psychanalyse n’a pas besoin de preuve expérimentale ». Cité par Jacques Van Rillaer, Le freudisme et les rationalismes, 2006, (R. Grinker, A philosophical appraisal of psychoanalysis. Dans J. Masserman (ed.), Science and Psychoanalysis, New York, Grune & Stratton, 1958, Vol. I, p. 132.)
[23] Répliques d’un film américain : « Qui est-ce, un ami ? », Réponse : « Oh, c’est une sorte de psychanalyste pour ceux qui ne peuvent pas s’en payer un. » Bien sûr, un psychanalyste, basée sur une certaine expérience de la vie, peut donner des conseils à ses clients avec une certaine sagesse, mais ces qualités ne sont pas requises pour devenir un psychanalyste. Que le fait de donner quelques conseils amicaux puisse être commercialisé en dit beaucoup sur la destruction des relations sociales au sein du capitalisme. Au contraire, une aide professionnelle moderne directement après des évènements traumatisants a montré son efficacité dans certains cas.
[24] S’interroger sur ses propres motivations peut pourtant être très utile, car des questions de simple honnêteté peuvent être en jeu.
[25] Woody Allen a été « psychanalysé » intensivement pendant plus de trente ans. Ses films donne une forte impression que quelque part dans sa carrière il a commencé à manipuler les psychanalystes au lieu d’être manipulé par eux, pour la seule raison de rassembler des éléments de folie pour ses films. Voir principalement Zelik, 1983, une parodie « profonde » de la psychanalyse sous la forme d’un documentaire historique sur l’Interbellum, la période entre les deux guerres mondiales lorsque la psychanalyse faisait fureur.
[26] Karl Marx n’a jamais utilisé les termes de « matérialisme dialectique » ou « historique » et lorsqu’il parlait de la « conception matérialiste de l’histoire », il usait du terme « matérialisme » dans le sens des philosophes du 18ème siècle qui recherchaient des explications « physiques », c’est-à-dire naturelles dans leur rejet des explications métaphysiques, c’est-à-dire surnaturelles ; cela en référence aussi à la science expérimentale (matérialiste) en opposition à la philosophie spéculative (idéaliste). Les « matérialistes vulgaires » du 19ème siècle l’ont au contraire restreinte à une opposition entre une « substance » ontologique, donc métaphysique et un « esprit » également ontologique et donc métaphysique, alors que les deux ne sont en fait qu’une pure abstraction, et parfaitement interchangeables. La critique d’Anton Pannekoek dans Lénine Philosophe reste, sur cette question, largement sous-estimée.
[27] Voir Friedrich Engels, La Dialectique de la nature, chapitre Science naturelle dans le monde des esprit.
[28] Notamment « Dora », c’est-à-dire Ida Bauer, la sœur d’Otto Bauer, et « Irma », c’est-à-dire Emma Eckstein, non seulement sœur de l’austro-marxiste Gustav Eckstein, mais aussi du théosophiste Friedrich Eckstein, qui était un ami de Sigmund Freud. On retrouvent Otto Bauer et Gustav Eckstein dans l’Anticritique de Rosa Luxemburg.
[29] « Souffrant d’une affection nerveuse, il suivit un traitement psychanalytique chez le fameux docteur viennois Alfred Adler, qui avait débuté comme disciple du professeur Freud mais qui, ensuite, fit opposition à son maître et créa sa propre école de psychologie individuelle. Par l’intermédiaire de Ioffé, je pris connaissance des problèmes de la psychanalyse qui me parurent extrêmement séduisants, quoique bien des choses dans ce domaine restent encore flottantes et fragiles, ouvrant toute carrière à la fantaisie et à l’arbitraire. » (Leon Trotsky, Ma Vie, Chapitre 17, La preparation d’une autre révolution).) La psychanalyse a joué un rôle important dans de nombreux groupes trotskystes.
[30] La « Maternelle blanc » fut dirigée par Vera Schmidt et plus tard par Sabina Spielrein. Sur la psychanalyse en Union soviétique, voir Martin A. Miller, Freud and the Bolsheviks, New Haven, Yale University Press, 1998, et A. Etkind, Eros of the impossible : the history of psychoanalysis in Russia, Oxford, Westview Press, 1997. Pour preuve que les staliniens exploitèrent la psychanalyse voir Reuben Osborn (pseudonyme du psychiatre Reuben Osbert), Freud and Marx, A Dialectical Study, London and New York, 1937. Pour une estimation stalinienne de la psychanalyse voir Georges Politzer, Critique des fondements de la psychologie, 1928, réimprimé chez Paris, P.U.F., 2003.
[31] Siegfried Bernfeld et al., Psychoanalyse und Marxismus : Dokumentation einer Kontroverse, Frankfurt am Main, Suhrkamp Verlag, 1970 ; Russel Jacoby, The Repression of Psychoanalysis : Otto Fenichel and the Political Freudians, New York : Basic Books, 1983.
[32] Dr. Alice Rühle-Gerstel, Freud und Adler, Dresden, 1924.
[33] Anton Pannekoek, Marxism and Psychology, dans Living Marxism, Vol. IV, No. 1, Février 1938, p. 21-23 ; Anton Pannekoek laissa également des notes non publiées sur ce sujet, qu’on trouve à l’International Institute for Social History d’Amsterdam. Paul Mattick, Marx and Freud, dans Western Socialist, Mars-Avril 1956 (sur Eros et Civilisation d’Herbert Marcuse).
[34] La psychanalyse est par exemple absente des travaux de Karl Kautsky, August Bebel, Franz Mehring et Rosa Luxemburg.
[35] Norman O. Brown, Life Against Death, The Psychoanalytical Meaning of History, Middletown, 1959 (Traduction française : Eros et Thanatos, Paris, Julliard, 1960). Norman O. Brown était un ami proche de Herbert Marcuse ; ils se rencontrèrent dans l’OSS, l’ancêtre de la CIA. Herbert Marcuse critiqua Norman Brown dans Love Mystified : A Critique of Norman O. Brown, dans Commentary, Février 1967 ; Norman O. Brown réagit dans A Reply to Herbert Marcuse, dans Commentary, Mars 1967.
[36] Sans aucune argumentation sérieuse, la psychanalyse est maintenant promue par le Courant Communiste International (CCI), dans une série de « Textes d’orientation » hermétiques et impénétrables, dont les sources historiques restent obscures, même en comparant la psychanalyse au marxisme : « Comme la démarche psychanalytique n’est pas seulement une investigation mais qu’elle est aussi thérapeutique et cherche à intervenir, elle partage avec le marxisme un souci pour le développement progressif du dispositif moral de l’homme. » (Marxisme et Ethique, dans la Revue Internationale no 128, 1er trimestre 2007). De façon significative, le contenu « sexuel » du freudisme est volontairement omis, en même temps qu’on ne trouve dans aucun des travaux de « marxistes » qui ont écrit sur le sujet le prétendu « développement progressif du dispositif moral de l’homme. »