Forum pour la Gauche Communiste Internationaliste
Ce texte développe des arguments complémentaires aux excellentes Contre-Thèses sur la décomposition écrite par TIBOR
Table des matières
Un argument d’autorité bien mal choisi
Le Manifeste de Marx réfute le CCI
L’impossible phase de décomposition dans le capitalisme
Un capitalisme « en crise permanente » ?
Une ‘théorie’ qui oblitère la réalité
L’origine de la ‘théorie’ de la décomposition
L’idéalisme du CCI
Une vision idéalisée de ‘l’ascendance’ du capitalisme
L’ignorance de la dialectique
Un salmigondis de contradictions
« Il est donc de la plus grande importance que le prolétariat rejette, à la suite d’un examen scientifique et non pas à la suite d’a priori ou de préjugés, la position erronée faisant de la décomposition une nouvelle phase historique, dont les caractéristiques seraient qualitativement nouvelles, et aboutiraient à transformer les perspectives du prolétariat, c’est-à-dire en réalité à le désarmer » Tibor, Contre-Thèses sur la décomposition.
Il suffit de lire n’importe quel article du Courant Communiste International (CCI) ou d’écouter ses militants pour se rendre compte que ‘la décomposition’ est l’explication récurrente et roborative avancée derrière n’importe quel phénomène allant de la crise à la guerre, en passant par la politique, la culture, la délinquance ou les affaires de mœurs… Cette ‘explication’ passe-partout prétend qu’une « impasse momentanée de la société » serait advenue « du fait de la "neutralisation" mutuelle de ses deux classes fondamentales » et qui « empêche chacune d’elles d’apporter sa réponse décisive à la crise ouverte de l’économie capitaliste » (Thèse 6 du CCI sur la décomposition, phase ultime de la décadence capitaliste). Ce serait ce blocage qui déterminerait à peu près tout dans le capitalisme depuis les années 1980-90 : la montée du populisme, la destruction accélérée de l’environnement, la généralisation de la corruption, etc.
Les Contre-thèses du camarade Tibor ont ceci d’important qu’elles offrent aux éléments en recherche d’une clarté marxiste, une déconstruction solidement argumentée d’une ‘théorie’ qui, en apparence, semble pouvoir tout expliquer, mais qui n’explique rien du tout parce que purement phénoménologique. Nous voudrions souligner ici toute leur importance en ce qu’elles offrent une double démonstration : non seulement celle de l’inanité de cette ‘théorie de la décomposition’, mais également, par ricochet, celle de la vacuité de cette autre ‘théorie’ du ‘parasitisme politique’ dont la décomposition constitue l’un des piliers. Nous développerons ici deux aspects que la lecture de ces Contre-Thèses nous a inspirée : l’un sur leur importance (la présente contribution) et l’autre sur une divergence de fond que nous avons avec le camarade Tibor (cette divergence sera développée dans une contribution à venir).
Si, par bien des aspects, l’analyse des Contre-Thèses rejoint notre propre critique développée aux pages 14 à 19 de notre Cahier Thématique n°3, elles sont cependant bien plus globales en ce qu’elles débusquent quasiment toutes les arguties de l’argumentation du CCI qui viennent oblitérer une véritable compréhension marxiste de la réalité. Nous ne reviendrons donc pas ici sur les réfutations de chacune des thèses du CCI développées par le camarade Tibor, elles se suffisent par elles-mêmes, nous voudrions cependant apporter quelques arguments complémentaires et souligner certains éléments peu ou pas abordés par le camarade.
Un argument d’autorité bien mal choisi
Dépité d’être isolé à défendre cette ‘théorie’ de la décomposition [1], le CCI cherche par tous les moyens à la crédibiliser en faisant appel à nos illustres prédécesseurs. Ainsi répète-il à l’envi que [2] :
Non seulement le CCI démontre qu’il est incapable de lire correctement Marx, mais il n’hésite pas à transformer le sens de ses propos ! En effet, lorsque celui-ci évoque cette « ruine des diverses classes en lutte », il cite l’Antiquité (Homme libre et esclave, patricien et plébéien), le Moyen-Âge (baron et serf) et l’Ancien Régime (maître de jurande et compagnon), mais il ne cite jamais le capitalisme contrairement à ce que prétend fallacieusement le CCI en mettant sous la plume de Marx que : « parmi les “diverses classes en lutte” aujourd’hui, il est bien question de la bourgeoise et du prolétariat ! ». Et pour cause puisque Marx rejette explicitement dans le Manifeste toute existence possible d’une telle phase pour le capitalisme.
Le Manifeste de Marx réfute le CCI
Pour le CCI, le capitalisme serait entré depuis les années 1980 dans une nouvelle phase de sa décadence : une « phase de décomposition déterminée fondamentalement par des conditions historiques nouvelles, inédites et inattendues : la situation d’impasse momentanée de la société, de ‘blocage’, du fait de la ‘neutralisation’ mutuelle de ses deux classes fondamentales qui empêche chacune d’elles d’apporter sa réponse décisive à la crise ouverte de l’économie capitaliste » Thèse 6 du CCI sur la décomposition, phase ultime de la décadence capitaliste.
Marx, par contre, rejette explicitement toute existence possible d’une telle phase dans le capitalisme. En effet, Le Manifeste récuse les deux fondements de base de cette ‘théorie de la décomposition’ du CCI :
Si, dans sa première Contre-Thèse, le camarade Tibor reprend opportunément ces mêmes passages de Marx pour récuser l’idée de « crise historique de l’économie » défendue par le CCI [4] , en réalité, ces passages rejettent tout aussi explicitement les deux fondements de base de cette ’théorie’ de la décomposition !
L’impossible phase de décomposition dans le capitalisme
Ce rejet par Marx d’un possible « blocage du rapport de force entre les deux classes fondamentales de la société » (CCI) pour le capitalisme est intrinsèque à son analyse de ce mode de production puisqu’une telle configuration est totalement incompatible avec les impératifs requis par l’accumulation du capital qui nécessitent de « révolutionner constamment les instruments de production, ce qui veut dire les rapports de production, c’est-à-dire l’ensemble des rapports sociaux » (Marx).
Les faits confortent pleinement cette conception et infirment totalement celle du CCI puisque, conformément à Marx, le rapport de force entre les classes ne connaît jamais de ‘blocage – impasse – neutralisation’ durant toute l’histoire du capitalisme, ni sur le plan socio-politique de l’évolution de la conflictualité sociale (Graphe 1), ni sur le plan économique de l’évolution du taux d’exploitation (Graphe 2).
Graphe 1 : Grèves dans 16 pays développés
En effet, le graphe ci-dessus montre clairement l’absence de tous ‘blocage – impasse – neutralisation’ du rapport de force entre les classes puisque ce dernier fluctue constamment à court et moyen termes [5]. Le recul continu de la conflictualité sociale depuis 1975 atteint même l’un de ses plus bas niveaux historiques et elle est dix fois moindre que durant la décennie 1965-75. Dès lors, prétendre que la bourgeoisie et le prolétariat « s’affrontent sans parvenir à imposer leur propre réponse décisive » est une pure et simple vue de l’esprit, un de ces schémas idéalistes typiquement hors sol du CCI.
C’est cet affaiblissement continu du recul de la conflictualité sociale depuis un demi-siècle qui permet à la bourgeoisie d’imposer ses impératifs au prolétariat avec de plus en plus de facilité et de laisser libre cours à ses pulsions impérialistes. En effet, non seulement la bourgeoisie parvient à imposer son austérité et un début d’économie de guerre, mais aussi d’avancer ses pions sur le plan militaire et inter-impérialiste sans rencontrer de grandes résistances de la part de la classe ouvrière … toutes choses que le CCI récuse puisqu’il prétend que l’on assiste à une reprise historique des combats de classes depuis l’été 2022 [6] et que la reformation de blocs impérialistes en vue d’une troisième Guerre Mondiale est quasi exclue dans ce contexte de décomposition [7].
En conséquence, cet affaiblissement de la classe ouvrière depuis 1975 se traduit par une hausse de son taux d’exploitation (ou de plus-value) depuis cette date (Graphe 2). En effet, ce taux constitue la mesure du rapport de force entre la bourgeoisie et le prolétariat sur le plan économique, puisqu’il rapporte la plus-value extraite à la masse salariale. Il est calculé en Grande-Bretagne, pays étudié par Marx dans Le Capital. Ici aussi, nous constatons une absence totale de ‘blocage – impasse – neutralisation’ et une fluctuation continuelle de ce taux d’exploitation à court et moyen termes.
Graphe 2 : Taux de plus-value
En effet, nous y voyons un quasi doublement de ce taux pendant la révolution industrielle (1760-1855) ; une stabilisation durant une quinzaine d’années (1855-1870), puis un recul jusqu’en 1895 à la suite de la montée en puissance du mouvement ouvrier ; s’en suit une contre-offensive patronale jusqu’à la première Guerre Mondiale ; le pic lors de cette dernière (durant laquelle la main d’œuvre est surexploitée) ; la diminution relative de ce taux durant l’entre-deux guerres et le capitalisme d’État conventionné des Trente glorieuses ; puis sa remontée avec le passage au capitalisme d’État néolibéral à partir de 1974.
Autrement dit, non seulement les deux fondements de ladite ‘théorie de la décomposition’ sont déjà récusés par Marx, mais ils ne correspondent à rien de tangible dans la réalité. Ne s’appuyant sur aucune base solide, ni théorique, ni empirique, cette ‘théorie’ n’est qu’un château de carte édifié sur du sable mouvant … et le danger du sable mouvant, s’est d’y entrainer le prolétariat … justifiant ainsi la mise en garde énoncée par le camarade Tibor dans ses Contre-Thèses : « Il est donc de la plus grande importance que le prolétariat rejette, à la suite d’un examen scientifique et non pas à la suite d’a priori ou de préjugés, la position erronée faisant de la décomposition une nouvelle phase historique, dont les caractéristiques seraient qualitativement nouvelles, et aboutiraient à transformer les perspectives du prolétariat, c’est-à-dire en réalité à le désarmer ».
Un capitalisme « en crise permanente » ?
Dans ses Contre-thèses 1 & 5, le camarade Tibor s’attaque à l’un des fondements sur lesquels le CCI s’est construit : l’idée mécaniste et fataliste d’une « crise historique de l’économie » qui serait permanente depuis la fin des années 1960 (l’expression « crise permanente » revient à trois reprises dans les Thèses du CCI). Cette idée provient de son ancêtre politique – la Gauche Communiste de France [8] – et elle est régulièrement réaffirmée tout au long du demi-siècle d’existence du CCI [9]. Nous l’avons réfutée de façon développée dans notre article dont l’intitulé est une citation de Marx : Des crises permanentes, ça n’existe pas car cette conception est totalement étrangère à la compréhension marxiste de la dynamique et des contradictions du capitalisme. En effet, aveuglé par cette certitude immédiate d’une « crise permanente », le CCI est totalement passé à côté de trois évolutions majeures du capitalisme :
1- Le CCI est totalement passé à côté du capitalisme d’État néolibéral
Au lieu de prendre conscience du recul de la conflictualité sociale dès le milieu des années soixante-dix, du tournant consécutif dans les politiques de la bourgeoisie et de la nécessité de mettre en place des équipes de droite capables de les mener, le CCI n’y a vu que des mesures visant à crédibiliser les syndicats et partis de gauche, prétendus rejetés dans l’opposition pour faire barrage à la radicalisation d’une supposée ‘troisième vague internationale de luttes’ potentiellement décisives durant les « années 80 de vérité » … alors que, dans les faits, la conflictualité sociale était déjà divisée par quatre (Graphe 1) ! Plus, cette conflictualité des années 1980 était redescendue au pire niveau de l’entre-deux-guerres … mais le CCI prétendait qu’elle était censée trancher l’alternative entre la guerre et la révolution ! Voilà où mène l’aveuglement envers des schémas purement idéalistes jamais remis en question.
2- ‘Crise permanente’ et danger de guerre
Croyant dur comme fer que le capitalisme avait épuisé toutes ses cartes sur le plan économique, le CCI n’a pas vu le redressement du taux de profit, depuis 1982, consécutif à l’application des politiques néolibérales visant à accroître le taux de plus-value (Graphe 3). Ce redressement a éloigné la nécessité de recourir à une dévalorisation massive par une guerre, une crise ou des mesures de capitalisme d’État aboutissant au même résultat. Au lieu d’analyser cela, le CCI a maintenu ce danger imminent de troisième guerre mondiale perçu comme seule solution à une « crise permanente ».
Ce n’est qu’après 1989 que cette organisation lève l’hypothèque d’une troisième guerre mondiale, mais du simple fait de l’implosion des blocs impérialistes après la chute du mur de Berlin, car ce credo de la « crise permanente » est réitéré avec une vigueur redoublée : « la crise économique, malgré des hauts et des bas, est essentiellement devenue permanente […] La crise qui se déroule déjà depuis des décennies va devenir la plus grave de toute la période de décadence… » [10]. Or, le taux de profit ne fait qu’augmenter depuis 1982, il s’est rapidement redressé après l’épisode conjoncturelle de la pandémie de Covid-19 et il est actuellement au plus haut à l’échelle historique :
Graphe 3 : USA – Taux de profit, de plus-value et composition du capital
Qu’une prochaine crise advienne, c’est une certitude compte-tenu de leur caractère cyclique comme Marx l’a bien mis en évidence (et non pas permanent comme le soutient le CCI) : « la production capitaliste traverse certains cycles périodiques. Elle passe par des états de calme, d’animation, de prospérité, de surproduction, puis de crises et de stagnation » in Salaires, prix et plus-value. Quant à son ampleur, Marx n’a pas attendu les dons de voyance du CCI pour affirmer que les crises « se répètent à une échelle toujours plus vaste » [11].
3- ‘Crise permanente’ et pays émergents
Le CCI a également été aveugle aux conséquences des politiques néolibérales qui ont accéléré les émergences économiques de nombreux pays, et non des moindres, comme celles de la Chine, de l’Inde et de la majorité de l’Asie. Ainsi, après la sentence assénée avec la foi d’un charbonnier en 1980 par ses deux mentors qui décrétaient l’impossibilité totale de tout développement dans un Tiers-Monde condamné à la misère la plus absolue [12], il n’a fait que répéter ce dogme par la suite. Ce genre de pronostics récurrents et ridicules est encore réitéré aujourd’hui : « L’Inde ne forme pas non plus une alternative viable à terme pouvant jouer un rôle équivalent à la Chine dans les années 1990-2000 ; les circonstances ayant permis le ‘miracle de l’émergence de la Chine’ étant révolues, une telle perspective est désormais impossible » Revue Internationale n°172, alors que, à l’image de la Chine, ce pays émerge depuis près de cinq décennies :
Graphe 4 : Inde – Croissance du PIB/habitant réel
Ainsi, comme le note très justement Tibor, c’est également en se basant sur ce fondement immédiatiste d’une « crise permanente du capitalisme » que le CCI « fait de l’alternative guerre ou révolution une perspective immédiate et permanente alors même qu’il s’agit d’une perspective historique dont la menace ne cesse de planer et dont la nécessité est certaine, mais qui ne force pas pour autant la bourgeoisie à déchaîner cette arme si d’autres solutions moins destructrices ou plus profitables pour elle lui sont possibles, ce qui est le cas depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale (capitalisme d’État néo-keynésien puis tournant au capitalisme d’État néo-libéral afin de redresser le taux de profit par une augmentation du taux de plus-value, avec toutes les conséquences qui en ont découlé comme la financiarisation de l’économie ou encore les délocalisations) ».
Une ‘théorie’ qui oblitère la réalité
Censée rendre compte de la réalité, en fait, la théorie de la décomposition l’oblitère. Ainsi, jusqu’il y a peu, dans ses thèses, résolutions et autres textes, cette organisation assène à longueur de pages que la décomposition aggrave et accélère inexorablement la crise économique, et qu’elle empêche désormais tout développement économique réel. Ainsi, le CCI affirmait avec certitude que les ex-pays de l’Est ne pourraient pas se redresser, qu’ils sombreraient dans le chaos et que l’implosion des pays staliniens restants (Vietnam, Chine, Laos…) n’était qu’une question de temps…
Nous pourrions remplir des pages entières de citations illustrant cette vision catastrophiste pour l’avenir des pays du bloc de l’Est et l’évolution de l’économie mondiale après 1989. Quelques titres d’articles et résolutions de sa Revue Internationale suffiront : n°62 Pays de l’Est : crise irréversible, restructuration impossible ; n°61 La crise du capitalisme d’État : l’économie mondiale s’enfonce dans le chaos ; le ton était déjà donné dans ses Thèses sur la décomposition : « Parmi les caractéristiques majeures de la décomposition de la société capitaliste ... on trouve évidemment la perte de contrôle toujours plus grande de la classe dominante sur son appareil économique [...] L’absence d’une perspective (exceptée celle de "sauver les meubles" de son économie au jour le jour) ... ».
Le CCI était tellement convaincu de l’impossibilité de restructuration des pays de l’Est qu’il accusa même Battaglia Comunista d’apporter une contribution à la ‘répugnante campagne sur la supériorité du capitalisme sur le communisme après 1989’ … parce qu’elle défend : « l’hypothèse stupéfiante selon laquelle le capitalisme occidental pourrait faire des affaires en or en investissant dans les pays de l’Est, on en a vraiment les bras qui tombent … Battaglia va droit son chemin et prend au sérieux les bavardages sur les prochains afflux énormes de capitaux à l’Est … les marchés à l’Est ont déjà montré qu’ils n’étaient pas solvables par rapport aux investissements modestes de la fin des années 60 ; comment pourraient-ils rémunérer des "placements de capitaux financiers sans précédent" ». Et le CCI de poursuivre de façon sentencieuse et méprisante : « Voilà à quelles aberrations, à quelle irresponsabilité, conduit la perméabilité de Battaglia Comunista à l’idéologie bourgeoise. …nous avons au moins le droit de demander que Battaglia Comunista cesse de publier des articles qui disent tout et son contraire » Frederic, RI n°187 - 1990. Trente-cinq ans après, l’on a vraiment les bras qui en tombent sur la prétendue ‘justesse’ de telles prophéties assénées au nom de la supériorité de ‘l’analyse marxiste de la décomposition’ … et l’on serait, à notre tour, en « droit de demander que le CCI cesse de publier des articles qui disent tout et son contraire » !
En effet, au lieu de s’être ‘décomposé’ comme le prévoyait le CCI, le capitalisme s’est considérablement recomposé en se développant en Asie et même dans plusieurs pays de l’Est. Il suffit de regarder le graphe 5 ci-dessous : pendant que le CCI ânonnait ses schémas catastrophistes, la Pologne, la Hongrie et la Tchécoslovaquie se sont rapidement restructurés et ont même mieux performés que l’Europe occidentale et les États-Unis :
Graphe 5 : Hongrie, Pologne, Tchécoslovaquie, Europe de l’Ouest, USA
En réalité, aucune des prévisions économiques du CCI découlant de ses Thèses sur la décomposition ne se sont réalisées : le phénomène des pays émergents a emporté l’Asie de l’Est dans une spirale de développement économique depuis les années 1950 (Graphe 6 et 7) ; l’Inde (Graphe 4 et 8) et la Chine (Graphe 8) également … pourtant deux géants démographiques parmi les pays les plus pauvres au monde après la seconde Guerre Mondiale ! Même le Vietnam (Graphe 9) et le Laos (Graphe 10) ont notablement prospérés, or, ce sont deux pays staliniens (soi-disant irréformables et condamnés à l’implosion pour le CCI), qui ont été les plus bombardés au monde et ravagés par une guerre interminable … et dont cette organisation décrétait la faillite pour toujours !
Graphe 6 : Asie émergente
Graphe 7 : Corée du Sud - Taïwan - Hong Kong - Singapour
Graphe 8 : La grande divergence : Chine-Inde / USA-UK
Graphe 9 : Vietnam : PIB par habitant 1820-2018
Graphe 10 : Laos, PIB par habitant 1950 - 2018
L’origine de la ‘théorie’ de la décomposition
Dans sa Contre-thèse 6, Tibor révèle la véritable origine de cette ‘théorie’ de la décomposition : la nécessité pour le CCI, non pas de mieux comprendre la réalité, mais de masquer la faillite de son analyse du rapport de force entre les classes et des dites ‘années 80 de vérité’ : « Ainsi, il importe de comprendre que sur le plan théorique, la décomposition est née comme un expédient permettant de justifier l’absence de résolution de l’alternative guerre ou révolution pendant la décennie 1980 ».
Et pour cause, cette organisation s’est construite sur la perspective d’un « cours à la révolution » ouvert par Mai 68 devant aboutir à l’alternative ‘guerre ou révolution’ durant les années 80 [13]. Rien de tout cela n’étant advenu, le CCI se devait de masquer la faillite de ses analyses et répondre aux multiples doutes et crises organisationnelles qui le traversaient. Prenant alors appui sur quelques évènements marquants de l’époque et, surtout, sur l’effondrement du bloc de l’Est en 1989, le CCI a imaginé cette ‘théorie de la décomposition’ censée subitement tout expliquer à la fois : l’épuisement de la dynamique de luttes qui devaient pourtant trancher l’avenir de l’humanité ; l’effondrement du mur de Berlin ; le non éclatement de la troisième Guerre Mondiale… mais également expliquer ses crises organisationnelles internes favorisées par le soi-disant phénomène de parasitisme politique impulsé par cette ‘décomposition du capitalisme’.
Résultat de toutes ces dérives : le CCI s’est réfugié dans une forteresse assiégée par un monde ‘en décomposition’ et une horde de parasites ne cherchant qu’à lui faire la peau. L’aveu en est le titre même de deux de ses brochures abjectes dont il a le secret : Sur la prétendue paranoïa du CCI – I & II, brochures dont la lecture donne à vomir et qui restituent bien l’ambiance et les délires paranoïaques qui se sont emparés de ce groupe.
L’idéalisme du CCI
En soulignant, dans sa Contre-Thèse 7, qu’une « hypothèse théorique ne devient une explication valable que si celle-ci se vérifie dans la réalité et permet de mieux la comprendre », le camarade Tibor a bien identifié le fondement idéaliste des analyses du CCI, puisqu’il y montre minutieusement que « toutes ‘les caractéristiques essentielles de la décomposition’ avancées par le CCI dans sa septième thèse sont, soit fausses, soit ne sont en rien inédites et constitutives d’une période nouvelle ». Il rejoint ainsi notre propre analyse de cette organisation que nous avons qualifiée de « Pôle idéaliste de la Gauche Communiste » dans le n°3 de nos Cahiers Thématiques, cahier entièrement consacré à la critique de ses fondements théoriques et de ses pratiques organisationnelles.
C’est donc avec une délicieuse ironie que Tibor introduit sa Contre-Thèse 8 : « Pressentant peut-être la fragilité de ses exemples de faits « matériels », le CCI prend la précaution, dans sa thèse suivante, d’affirmer que la décomposition se manifesterait surtout sur les plans politiques et idéologiques » !
Une vision idéalisée de ‘l’ascendance’ du capitalisme
Alors que le CCI fait de la corruption une supposée preuve de l’entrée du capitalisme dans sa phase de décomposition, Tibor cite le tableau peint par Marx de la monarchie de Juillet, l’un des régimes les plus corrompus de l’histoire de France, et ce pour bien montrer que « la corruption n’est pas une manifestation de la décomposition du capitalisme, ni même de sa décadence, mais d’une société où l’argent règne en maître ».
Cette belle référence nous permet de souligner un trait caractéristique du fond théorique du CCI : son ignorance des réalités les plus élémentaires du capitalisme avant 1914, qu’il peint systématiquement en rose, et donc son incompréhension totale des caractéristiques et des évolutions du capitalisme après 1914, qu’il peint systématiquement en noir. Ainsi définit-il toujours le capitalisme d’État comme un emplâtre sur une jambe de bois, càd un palliatif pour tenter de maintenir sur pied un capitalisme ‘en crise permanente’ depuis 1914. Or, n’en déplaise au CCI, les plus fortes croissances économiques l’ont toutes été après 1914 et sous des régimes de capitalisme d’État : le Japon et l’Europe occidental d’après-guerre (en particulier l’Allemagne) ; les Nouveaux Pays Industrialisés (Corée du Sud, Taïwan, Hong-Kong et Singapour) ; l’Inde ; l’Asie émergente du SE ; certains pays de l’Est… et même des capitalismes d’États staliniens comme la Chine, le Vietnam et le Laos que le CCI caractérise comme intrinsèquement faibles, incapables de se réformer et de se développer à l’image des régimes staliniens des ex-pays d’Europe de l’Est !
Pour l’illustrer, puisque le CCI évoque la corruption comme preuve de l’entrée du capitalisme dans sa supposée phase de décomposition, nous ne résistons pas à lui soumettre une question fréquemment posée à ce sujet par cet excellent économiste du développement qu’est Ha-Joon Chang [14] :
Après ce descriptif, force est de constater que, malgré la corruption et les mœurs de gangsters actuels de la bourgeoisie tant dépeints par le CCI, celle-ci est encore bien plus ‘civilisée’ et régulée aujourd’hui que dans le capitalisme d’avant 1914 ! De plus, cette ressemblance frappante entre la Chine des dernières décennies et les États-Unis du 19e siècle n’a pas empêché ces derniers de devenir la première puissance économique mondiale ! Alors, pourquoi le CCI a-t-il toujours dénié cette possibilité de développement à la Chine (et à l’ensemble du ‘Tiers-Monde’ également) et répété depuis un demi-siècle que, foncièrement staliniens, en ‘crise permanente’, ces pays seraient constamment au bord du gouffre, prêt à imploser comme les pays de l’ex-bloc de l’Est ? Voilà où mène la répétition à l’envi de vieux logiciels obsolètes que le CCI se refuse systématiquement de discuter et remettre en cause !
L’ignorance de la dialectique
A de nombreuses reprises dans ses Contre-Thèses, Tibor souligne l’incapacité totale du CCI à raisonner dialectiquement. À ce propos, nous ne résistons pas à prolonger l’argumentation du camarade sur le chômage dans sa Contre-Thèse 14 en évoquant tout le ridicule qu’a engendré le cumul de toutes les erreurs d’analyses du CCI sur cette question de la place du chômage et des chômeurs dans la lutte des classes [15].
En effet, durant lesdites ‘années décisives de vérité’ (années 1980), le mentor historique du CCI a décrété que : ‘si les chômeurs avaient perdu l’usine, par contre, ils avaient gagné la rue’. S’en est suivi de nombreux articles sur le rôle positif du chômage et des chômeurs dans le développement de la lutte des classes, articles inaugurés par un ‘texte cadre’ publié dans la Revue Internationale n°42 du CCI en 1985 : « ...les tous premiers développements du machinisme, les chômeurs et le chômage en général, ne furent pas amenés à jouer un rôle particulier dans l’avancée de la lutte de classe du siècle dernier [19e S] (…) Cette situation change radicalement avec l’ouverture et la course effrénée de la décadence du capitalisme. (…) ...à notre époque, le développement du chômage avait joué et jouera un rôle extrêmement important dans le développement de la conscience de classe et dans la lutte de classe en général. (…) Aujourd’hui, le chômage massif fait sa réapparition, mais dans un contexte totalement différent, et dans cette situation radicalement différente des années 30 où le joug de la contre-révolution n’écrase plus la classe ouvrière, la lutte des chômeurs qui commence à poindre, menace de contribuer grandement au bouleversement gigantesque de tout l’ordre social établi. (…) C’est ainsi que tout rassemblement des chômeurs dans des manifestai ions ou dans des comités est une force qui les contient toutes. Rassemblés massivement, les chômeurs sont directement amenés à prendre conscience de l’immensité du problème qu’ils représentent et de l’inanité de tous les discours syndicaux. Non seulement, les chômeurs en se mobilisant, prennent conscience de leur force, mais aussi des liens qui les unissent à toute la classe ouvrière dont ils ne forment pas une entité séparée ».
Des interventions militantes régulières aux bureaux de chômage et dans les comités de chômeurs existants furent donc organisées, etc. Comme toute cette agitation n’a rien donné, de supposé positif pour le développement de la lutte des classes, le chômage se serait transformé en un facteur négatif avec ladite décomposition !
Et c’est ainsi pour tout dans les raisonnements du CCI : une succession de schémas abstraits, soit blanc, soit noir … la dialectique étant totalement inconnue au bataillon comme l’exprime bien le camarade Tibor : « Le chômage appartient à ces contradictions du capitalisme dont les effets sur le prolétariat dépendent de façon importante du degré de sa conscience de classe. Au même titre que la guerre ou de la crise, le chômage n’est pas, a priori, un facteur favorable à la lutte de classe. […] le chômage peut agir dans le sens de l’absence de perspectives et de découragement. » !
Un salmigondis de contradictions
D’apparence construites et logiques, le camarade Tibor démontre magistralement que les thèses du CCI sur l’avènement d’une supposée phase de décomposition du capitalisme à la charnière des années 1980-90 ne sont qu’un tissu de sophismes et de postulats idéalistes extrêmement dangereux pour la théorie révolutionnaire. Rajoutons qu’elles sont souvent contradictoires entre elles pour qui les lits attentivement ! Établir la liste complète de ces apories prendrait trop de place ici, nous en soulignerons deux particulièrement succulentes !
Commençons par la première : lorsque le CCI nous explique la cause faisant naître la décomposition, il utilise les termes de blocage, impasse, neutralisation du rapport de force entre les deux classes fondamentales. Or, lorsqu’il veut expliquer le développement de la décomposition, il utilise des synonymes comme gel et stagnation : « Encore moins que pour les autres modes de production qui l’ont précédé, il ne peut exister pour le capitalisme de "gel", de "stagnation" de la vie sociale ». Sans vouloir faire de sémantique, gel, stagnation et blocage, impasse, neutralisation, c’est du pareil au même ! Mais alors, le CCI doit choisir :
Autrement dit, le CCI affirme à la fois qu’il ne peut y avoir de stagnation ou gel de la vie sociale dans le capitalisme, mais aussi le contraire en postulant que la décomposition correspond à un blocage, une impasse, une neutralisation de la vie sociale … comprenne qui pourra !
Mais il y a plus comique encore. En effet, dans le cadre du blocage du rapport de force entre les classes qui constitue la cause de la décomposition, le CCI fait de la crise économique le principal facteur de son développement : « c’est là l’élément qui détermine en dernier ressort l’évolution de la situation mondiale, le même facteur qui se trouve à l’origine du développement de la décomposition, l’aggravation inexorable de la crise du capitalisme » [16].
Cependant, récemment obligé de reconnaître la formidable croissance chinoise alors qu’il l’avait toujours niée, le CCI l’explique maintenant ainsi : « Il a fallu la survenue des circonstances inédites de la période historique de la décomposition pour permettre l’ascension de la Chine, sans laquelle celle-ci n’aurait pas eu lieu » [17], ou encore : « …l’étape actuelle de "mondialisation" du capitalisme d’État, déjà introduite au préalable, a rendu possible, dans le contexte post 1989, un développement réel des forces productives dans ce qui avait été jusqu’à maintenant des pays périphériques du capitalisme » in Revue Internationale n°157 du CCI [18].
Mais alors, si la phase de décomposition a permis « un développement réel des forces productives », notamment la formidable « ascension de la Chine » (et de la majorité de l’Asie que le CCI oublie toujours), selon la logique CCIènne, il aurait fallu assister à une atténuation dans le développement de la décomposition et non pas une aggravation comme il le répète inlassablement !
Et c’est toujours ainsi dans les ‘explications’ avancées par le CCI : un tissu d’incohérences comme nous l’avons longuement démontré dans le n°3 de nos Cahiers Thématiques entièrement consacré à la réfutation des bases théoriques et organisationnelles de ce groupe.
C.Mcl, 04-10-2024, très légèrement consolidé le 09-10-2024 et le 22-11-2024
[1] « Le CCI est pratiquement seul à défendre la théorie de la décomposition. D’autres groupes de la Gauche communiste la rejettent complètement » Résolution sur la situation internationale, 24e congrès du CCI – 2021. De même : « Seul le CCI défend l’analyse de la décomposition, phase finale de la décadence capitaliste que beaucoup de groupes du milieu politique prolétarien rejettent… » ICC on line 08/11/2021.
[3] Les failles du PCI sur la question du populisme (Partie II), CB, Révolution internationale n° 470 - mai juin 2018.
[4] « Le capitalisme, par la logique même de l’accumulation, ne saurait donc connaître une phase de déclin économique définitif, une ‘crise historique de l’économie’ (Thèse n°1, Revue internationale du CCI n°107) » Tibor, Contre-Thèse 1.
[5] Explosion des luttes après la première Guerre Mondiale, reflux durant l’entre-deux guerres, poussée de mécontentements à la fin de la seconde Guerre Mondiale, maintien d’une combativité soutenue durant les Trente glorieuses, forte poussée entre 1965-75, puis reflux continu ensuite.
[6] Idée qui a été déconstruite dans notre article Une « rupture historique » dans la lutte des classes depuis 2022 ?.
[7] Idée que nous avons réfuté dans l’article sur Les errances du CCI sur les rapports inter-impérialistes, également publié dans le n°6 de notre revue Controverses.
[8] « Ces deux cours [à la guerre et à la révolution] ayant leur source dans une même situation historique de crise permanente du régime capitaliste… […] L’absence de nouveaux débouchés et de nouveaux marchés où puisse se réaliser la plus-value incluse dans les produits au cours du procès de la production, ouvre la crise permanente du système capitaliste. La réduction du marché extérieur a pour conséquence une restriction du marché intérieur. La crise économique va en s’amplifiant […] Prise dans ce sens historique, la guerre à l’époque impérialiste, présente l’expression la plus haute en même temps que la plus adéquate du capitalisme décadent, de sa crise permanente et de son mode de vie économique : la destruction » extraits du Rapport sur la situation internationale, conférence de la Gauche Communiste de France en juillet 1945, rapport republié et cité de nombreuses fois par le CCI dans sa Revue Internationale.
[9] « La décadence du capitalisme est marquée par l’épanouissement des contradictions inhérentes à sa nature, par une crise permanente » Revue Internationale n°15, 1978, p.1 ; « Lors du deuxième Congrès, nous avions pu constater la confirmation de ce qui était déjà notre analyse avant même la constitution officielle du CCI, à savoir : la fin de la période de reconstruction et l’entrée du système capitaliste dans une nouvelle phase de la crise permanente historique du système » Revue Internationale n°18, 1979, 3ème congrès du CCI ; « La surproduction chronique, une entrave incontournable à l’accumulation capitaliste » Revue Internationale n°141, 2010.
[10] Résolution sur la situation internationale du 24e congrès du CCI – 2021.
[11] « Les contradictions capitalistes provoqueront des explosions, des cataclysmes et des crises au cours desquels les arrêts momentanés de travail et la destruction d’une grande partie des capitaux ramèneront, par la violence, le capitalisme à un niveau d’où il pourra reprendre son cours. Les contradictions créent des explosions, des crises au cours desquelles tout travail s’arrête pour un temps tandis qu’une partie importante du capital est détruite, ramenant le capital par la force à un point où, sans se suicider, il est à même d’employer de nouveau pleinement sa capacité productive. Cependant ces catastrophes qui le régénèrent régulièrement, se répètent à une échelle toujours plus vaste, et elles finiront par provoquer son renversement violent » Grundrisse, Éditions 10/18, Tome IV, p.17-18. Passages soulignés par nous.
[12] « La période de décadence du capitalisme se caractérise par l’impossibilité de tout surgissement de nouvelles nations industrialisées » et donc que « l’Inde ou la Chine » sont « condamnés à stagner dans le sous-développement total, ou à conserver une arriération chronique » citations tirées d’un texte fondateur coécrit par le mentor historique et actuel du CCI : Revue Internationale n°23, 1980.
[13] Nous avons déconstruit toutes ces élucubrations aux pages 7 à 13 de notre Cahier Thématique n°3.
[14] Extrait de : 2 ou 3 choses que l’on ne vous dit jamais sur le capitalisme, Seuil.
[15] « Le chômage appartient à ces contradictions du capitalisme dont les effets sur le prolétariat dépendent de façon importante du degré de sa conscience de classe. Au même titre que la guerre ou de la crise, le chômage n’est pas, a priori, un facteur favorable à la lutte de classe. […] le chômage peut agir dans le sens de l’absence de perspectives et de découragement » Tibor.
[16] Thèses du CCI sur la décomposition, phase ultime de la décadence capitaliste.
[17] Résolution sur la situation internationale du 23e congrès du CCI. Nous avons réfuté cette explication farfelue aux pages 15 à 19 du n°3 de nos Cahiers Thématiques.
[18] Nous avons réfuté ces explications farfelues aux pages 15 à 19 du n°3 de nos Cahiers Thématiques.