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Des voix internationalistes de Russie et d’Ukraine

 

Marx, « Le système national de l’économie politique » (1845) :

« Le travailleur n’est ni français, ni anglais, ni allemand, [ni ukrainien, ni russe] car sa nationalité est le travail, l’esclavage libre, la vente de lui-même et de son propre travail. Il n’est pas gouverné par la France, l’Angleterre ou l’Allemagne, [ou l’Ukraine ou la Russie] mais par le capital. Son atmosphère natale n’est pas française, ni anglaise, ni allemande, [ni ukrainienne, ni russe], c’est l’atmosphère de l’usine. Le sol qui est le sien n’est ni français, ni anglais, ni allemand, [ni ukrainien, ni russe] mais l’attend six pieds sous terre. Au-dessus du sol, l’argent est la patrie de l’industriel [quel que soit sa nationalité] »

 

Un des reproches fréquents envers la position internationaliste dans un conflit impérialiste est de prétendre qu’elle serait facile à défendre dans un pays non belligérant et intenable dans un pays en guerre. Rien n’est plus faux comme en attestent les prises de positions authentiquement révolutionnaires, tant en Russie qu’en Ukraine (cf. ci-dessous) et comme le prouve l’exemple historique de la fin de la première guerre mondiale qui est bien expliqué dans cette excellente video (de 23 minutes et en anglais) montrant en quoi et comment les analyses, positions et perspectives pratiques défendues ici concernant la guerre en Ukraine ont pu stopper la boucherie de la première guerre mondiale et forcer la bourgeoisie à signer l’armistice. En effet, la fin de ce conflit ne fut pas le résultat d’une défaite militaire mais du soulèvement révolutionnaire des salariés et de la désertion des soldats sur les fronts, particulièrement en Allemagne mais aussi un peu partout en Europe (et même dans le monde).

C’est pour fermement défendre cette perspective que nous publions ci-dessous trois documents :

  1. Une traduction d’une interview du KRAS (anarcho-syndicalistes révolutionnaires en Russie) par le groupe anarchiste espagnol Moiras (cf. ci-dessous).
  2. Des extraits d’un courrier envoyé par un révolutionnaire ukrainien (cf. ci-dessous).
  3. Un compte-rendu des résistances à la guerre, tant en Russie qu’en Ukraine.

Ces documents maintiennent le cap internationaliste face au déchaînement de la guerre en Ukraine, ils refusent de soutenir cette guerre meurtrière des deux côtés du front russo-ukrainien car il s’agit d’un conflit entre deux national-capitalismes où il n’y a aucun « bon côté » à défendre. Tout comme dans les guerres du passé et celles de demain - malheureusement inévitables tant que ce capitalisme mortifère mondial subsistera - la guerre en Ukraine implique une défense pratique, sans faiblesse ni compromission, du véritable internationalisme prolétarien : la transformation de la guerre des capitalistes en guerre de classe pour la destruction définitive de ce système.

Enfin, signalons l’Initiative de solidarité Olga TARATUTA : « Parce que Le nationalisme, c’est la guerre, nous nous opposons à toute forme de nationalisme et nous ne prenons parti pour aucun gouvernement, pas plus ici que là-bas. Notre solidarité va aux populations, pas aux institutions ». Certes, cette initiative ne se situe pas sur un stricte plan internationaliste et des prises de positions claires côtoient le pire, mais ce blog a le mérite de rassembler toute une série d’informations de première main sur les résistances à cette guerre puisqu’elle vise le soutien matériel et financier des « déserteurs et les pacifistes russes et belarusses, qui tiennent entre leurs mains une partie de la solution contre la guerre ». Le lecteur trouvera plus d’explications sur le sens de cette initiative dans le texte suivant : Quelle solidarité ? Objectifs et moyens de l’initiative de solidarité Olga TARATUTA.

 

KRAS - Russie

« Dans la guerre actuelle, nous parlons exclusivement de l’affrontement entre deux États, deux groupes de capitalistes, deux nationalismes. Il n’appartient pas aux anarchistes de choisir le « moindre mal » entre les deux. Nous ne voulons pas la victoire de l’un ou de l’autre. Toute notre sympathie va aux travailleurs ordinaires qui meurent aujourd’hui sous les obus, les roquettes et les bombes. » L’entièreté de l’interview se trouve dans le fichier PDF ci-contre.

 

Une voix révolutionnaire en Ukraine : extraits (disponible dans son entièreté ICI) :

« Ce n’est pas un hasard si les personnes coincées dans les villes occupées et encerclées sont disproportionnellement pauvres, et souvent âgées... (...) ...en raison des énormes files d’attentes pour traverser les frontières, des personnes dorment dehors, d’autres sont purement et simplement rejetées parce qu’elles ont le malheur de venir d’Afrique, du Moyen-Orient ou d’Asie. (...) Les groupes nationalistes militarisés reçoivent un soutien croissant et sont de plus en plus normalisés. Les libéraux progressistes ont oublié leurs "luttes" pour la démocratie et adhèrent avec engouement à l’appareil d’État. Néanmoins, je vois aussi de nombreuses opportunités de radicalisation, car l’armée et la police, en procédant à la conscription générale et en interdisant aux hommes de sortir du pays, en arrêtant et en tuant les pillards sur place, montrent leur penchant pour la protection de la loi elle-même, plutôt que pour la survie de tout un chacun. Une fois que tu comprends que le système dans lequel nous vivons est aussi la cause de toute cette horreur, qu’il se nourrit de cette violence, une fois que tu le ressens dans ta propre chair, il est vraiment difficile d’écouter ces politiciens qui mobilisent la rhétorique des souffrances et du martyr éternel du peuple ukrainien en n’y opposant que des demi-mesures. (...) L’État ukrainien essaie tout simplement de survivre certes et pour ceci il entend nous inculquer que ne pas vouloir sacrifier notre vie pour le protéger relève d’une pure et simple trahison. Ce qui caractérise également la situation actuelle, c’est que les nationalistes autant que les démocrates libéraux ukrainiens n’ont absolument aucune solution sur le long terme. (...)

Seul un mouvement de masse puissant des deux côtés de la ligne de front, qui se propagerait jusque dans les armées elles-mêmes et surgirait d’une étincelle encore indéterminable à l’heure actuelle, pourrait mettre un terme à cette situation qui a amené la guerre aux portes de l’Europe. (...)

L’histoire de l’après-Maidan est un excellent exemple de la façon dont des milices de droite ont réussi à consolider leur pouvoir dans la rue, en établissant de nombreux contacts et en se dotant d’une relative influence au sein des institutions militaires, de la police et de l’État, tandis que divers groupes anarchistes ont lentement périclité ou sont même désormais pour certains ouvertement patriotes. (...)

L’Euromaidan et l’invasion russe dans le Donbass qui a suivi ont permis l’émergence d’un gigantesque réseau de volontaires. Comme aujourd’hui, les initiatives politiques visant à renforcer l’armée étaient alors considérées comme extrêmement populaires. Ces réseaux souvent apolitiques ont fini par alimenter certains bataillons d’extrême droite qui avaient créé leurs propres centres de formation. Ils ont ainsi pu activement recruter des jeunes, souvent prêt à faire le coup de force dans la rue en tabassant par exemple des homosexuels.

Ce que vous ne lirez dans presque aucun article occidental vantant les performances de l’armée ukrainienne aujourd’hui et ce que la plupart des gens ne comprennent pas, c’est que l’entrainement, la maintenance et l’armement de l’Ukraine, ainsi que les exigences du FMI en matière de crédits accordés à l’État, sont en même temps les causes structurelles du démantèlement des hôpitaux, du sous-investissement dans l’éducation, des pensions de misère pour les retraités, de l’absence d’augmentation des salaires dans le secteur public. L’austérité est aussi l’avenir qui attend l’Ukraine si elle est un jour acceptée dans l’UE. »