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Ukraine : le repartage du monde capitaliste a commencé…

 

1. Le sens de la guerre en Ukraine

 

Ainsi à 4 heures du matin, ce jeudi 24 février 2022, les troupes russes commandées par l’autocrate Vladimir Poutine, digne héritier du tsar Nicolas II et de Joseph Staline, ont envahi et bombardé l’Ukraine dans le but de l’annexer partiellement ou en totalité. Il s’agit d’une avancée décisive sur le terrain des conflits militaires en Europe après la guerre dans l’ex-Yougoslavie. Le bombardement d’une quinzaine de villes ukrainiennes, le début d’un décompte macabre des morts civiles et militaires, le déploiement de l’armée russe sur trois fronts, l’occupation d’aérodromes militaires et du site nucléaire de Tchernobyl, la chute programmée du gouvernement ukrainien pour former une équipe de marionnettes aux ordres de Moscou, le début d’une énorme émigration vers les pays voisins de la CEE, tout cela traduit incontestablement une accélération de l’histoire, qui pourrait dans le moyen et le long terme – avec l’implication de la Chine dans le conflit – conduire à un troisième conflit mondial.

Poutine affirma en 2005 que la disparition de l’URSS en 1989 était « la plus grande catastrophe géopolitique du XXe siècle ». Poussé, il est vrai, par le grignotage des marches de l’Empire (Pologne, Roumanie, Hongrie, Bulgarie, ex-Tchécoslovaquie, pays baltes) par les USA et ses alliés de l’Otan, la camarilla de Poutine et ses oligarques ne tardèrent pas à manifester au grand jour leur choix de récupérer quelques-unes de ces marches. C’est une loi générale de l’impérialisme capitaliste, aussi bien russe qu’américain ou chinois : qui ne renforce pas ses positions finit par les perdre à-demi, qui les perd totalement dans des zones géostratégiques réagira comme une bête aux abois prête à tout, même à un conflit nucléaire. Il suffit de rappeler la crise des missiles russes à Cuba en octobre 1962, à quelques encablures de la Floride, crise concomitante de la crise des missiles américains en Turquie, aux portes mêmes de la Russie.

En août 2008, les troupes de la dictature bicéphale Medvedev-Poutine, prétendument pour éviter un ’génocide’ de la population russophone, envahissaient l’Ossétie du Sud au terme d’une guerre de cinq jours, soigneusement planifiée par l’ancien directeur du FSB. Le 26 août 2008, la Russie reconnaissait officiellement ’l’indépendance’ de l’Ossétie du Sud et de l’Abkhazie, région dissidente de la Géorgie. Ces deux régions rejoignaient le club, promis à un très bel avenir, des ex-régions soviétiques rattachées de gré ou de force à l’aigle impériale russe, et dont la Transnistrie avait été le paradigme (dès 1992) après sa sécession de la Moldavie passée peu ou prou dans le ’camp occidental’.

Déjà, en août 2008, la nouvelle ’Russie impériale’ se disait prête « à assurer la sécurité de ces deux États » croupions (Ossétie du Sud et Abkhazie). Le président français Sarkozy, dont Macron est l’un des successeurs, présenta comme une ’victoire’ sa médiation dans le conflit russo-géorgien et le ’gel’ momentané du conflit.

Hitler, jadis, utilisa un mensonge d’État bien rodé, éternelle antienne de tous les brigands impérialistes : un État E (ici la Pologne) prévoie avec ses alliés X, Y et Z (Grande-Bretagne, France, etc.) de démembrer un État A lui-même encerclé par l’Europe entière (ici l’Allemagne). La minorité ethnique M (en 1939, les Volksdeutsche) est menacée d’annihilation (génocide) par la majorité M’…

Nul n’ignore que la SS, portant des uniformes polonais volés, organisa une fausse incursion ’polonaise’ contre une station de radio allemande. Cela servit de prétexte pour annexer et démembrer – bientôt avec l’aide précieuse de l’Union soviétique stalinienne ! – la Pologne, en particulier les régions à forte population germanophone : Prusse occidentale, Poznan-Posen, Haute-Silésie, et l’ancienne ’ville libre’ de Dantzig-Gdansk, liquidant ainsi la Pologne de 1919.

Poutine – sacré pur ’génie’ par Donald Trump après le discours martial du lundi soir 21 février – ne pouvait copier servilement le scénario imaginé puis exécuté le premier septembre 1939 pour envahir et annexer la Pologne. Néanmoins, les termes de l’équation de 1939 – utilisation du prétexte des minorités ethniques, prétendument menacées de ’génocide’, imaginaire paranoïaque de la théorie obsidionale de l’encerclement – restent les mêmes.

Dans le cas de l’Ukraine, le régime capitaliste/impérialiste russe a justifié son ’intervention préventive du génocide’ avec l’argument des ’armes de destruction massive’. L’Occident aurait fourni des missiles à l’Ukraine, prêts à se transformer en ogives nucléaires, menaçant de ’génocide’ la population russe. L’occupation de Tchernobyl par l’armée russe n’a qu’un seul but : forger le mythe que l’Ukraine pourrait collecter des déchets d’uranium et de plutonium en les tirant des sarcophages de la centrale nucléaire, édifiés après son explosion du 26 avril 1986.

Poutine a sans nul doute trouvé son inspiration dans le montage guerrier élaboré vingt ans plus tôt (2002) par George W. Bush, Dick Cheney et Donald Rumsfeld, avec la complicité active (et financièrement intéressée) du Britannique Tony Blair. En février 2003 le secrétaire d’État Colin Powell ficela un dossier sur le ’programme de fabrication d’armes de destruction massive’ (nucléaires et chimiques) en Iraq. Tout était truqué, et pour faire trembler l’Assemblée des Nations unies, Powell brandit une prétendue capsule d’anthrax. La guerre fraîche et joyeuse pour l’occupation des champs de pétrole irakiens par les forces de l’Oncle Sam et de John Bull pouvait commencer.

Une décennie plus tard, il s’avéra que les munitions chimiques avaient été conçues dans les années 80 aux États-Unis, fabriquées en Europe et remplies en Irak de produits chimiques fournis généreusement par des sociétés occidentales, et utilisées surtout contre l’ennemi intérieur héréditaire : les Kurdes (New York Times, 14 octobre 2014).

Tous ces mensonges, les États impérialistes, c’est-à-dire, quasiment toutes les grandes et moyennes puissances capitalistes (Chine incluse, bien entendu, malgré sa très comique étiquette « communiste »), les vomissent quotidiennement pour justifier l’avancée de leurs pions sur l’échiquier mondial.

L’histoire depuis 30 années environ est celle de la recomposition du monde impérialiste où deux grands pôles dominent : les USA, dont on annonce le ’déclin programmé’ bien qu’elle soit, de façon écrasante, la première puissance militaire ; la Chine capitaliste boostée depuis plus de 30 ans par les formidables investissements des puissances occidentales et qui manifeste ouvertement son désir de dominer le monde. En dehors de ces deux pôles, la Russie cherche à reconstituer son ancien empire d’avant 1989, même en marchant ’jusqu’au bord du gouffre’. Elle n’a d’autre choix que de choisir l’axe chinois (celui des ’routes de la soie’), qui pourrait néanmoins menacer à terme son flanc sud sibérien. Quant à la Chine de Xi Jinping, elle ne peut que soutenir à demi-mots l’allié russe. Si l’Ukraine devient un abcès de fixation qui puisse dégarnir militairement le front Sino-Pacifique ou Indo-Pacifique pour le contrôle de Taiwan et de la mer de Chine, l’Empire du milieu aura gagné suffisamment de répit stratégique pour déployer sa politique expansionniste.

Quant au sort des habitants de l’Ukraine, c’est le cadet des soucis aussi bien du militarisme russe qui se fraie sa voie à coup de bombes, que de la ’démocratie’ du bloc occidental habituée elle aussi et depuis bien longtemps à faire parler les armes aussi bien à l’extérieur (Moyen-Orient, Afrique, Asie), qu’à l’intérieur quand elle se prétend ’menacée’ par un ’ennemi intérieur’.

Par contre, la migration inévitable de centaines de milliers Ukrainiens vers l’Ouest pourrait être un thème récurrent utilisé par la droite (mais aussi la gauche) pour stigmatiser les Ukrainiens ’qui viennent manger notre pain national’.

Pour tous ces ’démocrates’, le seul intérêt des Ukrainiens c’est d’être une valeur d’échange géostratégique. Pour les USA, l’ennemi systémique reste la puissance capitaliste chinoise qu’il s’agira d’écraser dans les décennies à venir.

Si la Russie (débarrassée de Poutine) pouvait changer d’alliance au profit des USA, le sang des Ukrainiens et de bien d’autres pourrait bien servir de colle pour signer un traité en bonne et due forme contre l’Empire du milieu.

PANTOPOLIS, le 24/02/2022

Ceci est le premier article d’une analyse qui en comportera trois autre et qui est reproduit du site internationaliste PANTOPOLIS.