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Connessioni : en réponse à l’Appel du groupe Perspective Internationaliste

 

Connessioni per la lotta di classe est un groupe politique qui se réfère à la Gauche Communiste, en particulier à sa branche germano-hollandaise, mais il est aussi ouvert à d’autres courants politiques se plaçant sur un terrain révolutionnaire et aux analyses se revendiquant du marxisme en général. Apparu sur le web en novembre 2011, il est très actif et – chose à souligner – manifeste une grande ouverture de par ses nombreuses traductions d’autres groupes révolutionnaires. Ainsi a-t-il traduit un de nos articles, une brochure du Groupe Communiste International, de nombreux articles de Paul Mattick, plusieurs contributions de Perspective Internationaliste, d’Echange et mouvement, etc. Incontestablement un exemple à suivre si l’on veut mieux connaître les positions des uns et des autres, débattre efficacement et rompre l’isolement qui mine les groupes révolutionnaires actuels (pour comprendre cet état de fait, nous renvoyons le lecteur à notre contribution : Il est minuit dans la Gauche Communiste qui est également repris en italien sur le site de Connessioni). C’est pour mieux faire connaître ce nouveau groupe que nous avons traduit en français sa réponse à l’Appel aux pro-révolutionnaires lancé par Perspective Internationaliste en mars 2009, Appel auquel nous avions également répondu positivement et participé aux débats qui s’en sont suivis. Nous espérons pouvoir poursuivre ce travail de traduction à la mesure de nos faibles forces et en regard des nombreuses contributions en italien de diverses provenances que nous aimerions également traduire. A ce propos, nous signalons l’excellent premier numéro de la revue de Connessioni qui est quasi entièrement dédiée à l’analyse en profondeur de la crise économique.

 

Une réponse à l’Appel aux pro-révolutionnaires des camarades de Perspective Internationaliste

 

En faveur de l’Appel des camarades de Perspective Internationaliste.
Quelques camarades de la rédaction de Connexions pour la lutte de classe.

Février 2012

 

Ces derniers mois, nous nous efforçons, sur les pages de notre blog, de produire et d’insérer des matériaux et des thèses ayant trait aux expressions des nouveaux rapports sociaux apparaissant au sein même de la lutte des classes, de même, nous voulons offrir un large espace à ceux qui (concernant l’histoire ou le présent) développent une critique de la domination capitaliste de la loi de la valeur. Nous avons publié l’Appel des camarades de Perspective Internationaliste car il appelle à se saisir de l’opportunité ouverte par la dynamique de la crise du capitalisme. Nous partageons ce constat : de nouvelles configurations surgissent aujourd’hui ainsi que de nouvelles tâches pour tous ceux qui veulent développer la critique de l’économie politique, il suffit de penser au phénomène de dé-intégration qui se développe désormais dans la classe ouvrière. Nous souscrivons et défendons donc cet Appel.

Cet Appel est destiné à tous les camarades qui s’engagent dès aujourd’hui dans la critique de l’économie politique. Il ne faut pas le comprendre comme un appel à l’unité des gauches. Ces mêmes gauches qui, à plusieurs reprises, comme l’ont rappelé les camarades de Perspective Internationaliste dans leur publication, sont dans la logique du capital et dont les variantes les plus radicales défendent même la possibilité d’une mutation d’ampleur du capitalisme en faisant croire que Taylor pourrait être utilisé dans le socialisme…

Toutefois, nous pensons qu’en rester au constat que la division rend plus faible comme le fait l’Appel ne suffit pas à expliquer la raison pour laquelle existe une dynamique ‘groupusculaire’ ou une ‘atomisation’ des groupes révolutionnaires et des militants (d’où le problème : celui-ci n’est pas l’opposition des dizaines aux centaines, mais plutôt l’aspect confiné aujourd’hui de toute perspective révolutionnaire rompant avec la logique de l’Etat et du capital).

La raison pour laquelle existent des sectes (communiste, anarchiste ou autonome, importe peu) n’est pas tant du à leur faiblesse numérique qu’à une série de pratiques politiques qui sont le reflet de la phase que l’on traverse. Le prétendu lien entre réforme et révolution, la lutte quotidienne pour les revendications immédiates qui se transforme en lutte contre le système n’engendre pas un développement d’une conscience de classe révolutionnaire. La manifestation de nouveaux rapports sociaux dans la lutte des classes (dans une grève, un mouvement, dans une occupation, etc. ...), compte tenu de leur l’extrême parcellisation (les rapports sociaux ne sont pas les rapports de production), tend à être immédiatement récupérée. Les organisations qui naissent en ce moment, ou auparavant, sont simplement des organisations de la lutte des classes incapables de faire le saut passant de la réforme à la révolution et à tenir compte de l’émergence et de la généralisation des nouveaux rapports sociaux. Il reste une expérience prolétarienne des luttes et de la pratique, et ceci est important pour leurs potentialités futures, non pas au niveau immédiat, prise en compte qui amène chacun à considérer l’importance de chaque moment de la lutte des classes.

Cependant, les attentes de Marx à propos des conséquences révolutionnaires de l’accumulation du capital sur la conscience de la classe se sont révélées erronées, pour le moins dans la phase ascendante du développement capitaliste. Il faut voir si ces attentes se vérifieront effectivement dans un processus de déclin du développement capitaliste, dans ce sens, nous considérons la notion de dé-intégration comme essentielle ainsi que les changements au niveau de l’armée industrielle de réserve pour mettre en évidence les mutations de paradigme issu de la crise sociale.

C’est sur ces bases qu’il faut analyser le développement du sectarisme et son possible dépassement. Le concept de secte s’illustre par le fait qu’un groupe de personnes se réunit - sur la base de quelques idées - pour se lancer ensuite dans une activité de propagande et de diffusion de ces idées. Les sectes se caractérisent aussi par un rituel organisationnel indépendant de la réalité et des luttes. Elles se réunissent en congrès, assemblées, etc., à quelques dizaines ou centaines de personnes, d’où émanent ‘des résolutions d’importance historique’, et d’où s’effectuent, entre autre, ‘d’historiques’ scissions. Ce n’est guère mieux chez les militants de base ou les syndicalistes, où le caractère de secte est certes moins perceptible, mais où la course à l’efficacité et au succès est conçu dans une perspective de rupture, chose inévitable au sein des rouages d’intégration qui, de fait, rendent impossible toute opposition, surtout si elle se confronte directement sur un terrain de complicité de classes à la position la plus adéquate aux nécessités de la période.

Nous constatons que toute tentative de se placer au dessus des dynamiques sociales engendre inévitablement le retour à une supériorité prétentieuse, avec son corollaire de contrôle, d’hégémonie et de comportements qui reproduisent en petit (ou même en grand) les mêmes défauts de la société qu’elle prétend combattre. Il est nécessaire, par dessus tout, de savoir rompre avec l’abstraction idéologique et les vieilles formes propres à un terrain de confrontations lié à la totalité abstraite et se situer dans la totalité concrète de la lutte des classes et des rapports sociaux capitalistes. Rien que ce premier pas nous inciterait à discuter de la logique des sectes.

L’avant-gardisme (formel ou informel), conçu comme un raccourci aux contradictions (c’est là son attrait), aboutit en réalité à s’éloigner de la critique de l’économie politique. Donc, la question n’est pas l’opposition entre l’horizontalité ou la verticalité organisationnelle, même s’il ne fait aucun doute qu’il y a des qualités et des défauts entre ces méthodes prises dans leur pureté et leur abstraction.

Si une des possibles facettes du sectarisme est inscrite dans l’avant-gardisme, c’est parce qu’il se croit absolument indispensable et essentiel, d’où aussi le fétichisme de l’organisation se substituant à l’autonomie prolétarienne, cependant, cela implique aussi d’autres aspects : le culte de l’intellectuel, des mains calleuses, du professionnalisme, etc., investissements de secteurs qui sur le plan théorique rejettent ces logiques. Toutes ces dynamiques prennent, dans les périodes caractéristiques d’intégration, une dimension paroxystique.

Cela dit, nous ne considérons pas comme inutile la recherche de l’action concertée entre camarades, mais nous pensons qu’il est nécessaire de relativiser la portée de nos actions et savoir saisir les dynamiques de classes qui sont spécifiques aux dynamiques du capital lui-même et dont la seule invariance c’est la lutte des classes et non le communisme. Nous sommes très proches de cette définition que nous donne Pannekoek qui analysait le vieux mouvement ouvrier dans un article de 1946, La défaite de la classe ouvrière : « Quand on parle de défaite de la classe ouvrière, il est question en réalité d’une défaite liée à des objectifs trop limités. La lutte réelle pour l’émancipation n’est pas encore commencée ; sous cet aspect, celui qu’on appelle communément le mouvement ouvrier des derniers cent ans, n’a pas été autre chose qu’une succession d’escarmouches d’avant-postes. Les intellectuels, qui ont pour habitude de réduire la lutte sociale aux formules les plus abstraites et de les banaliser, ont tendance à sous-évaluer la formidable ampleur de la transformation qui devra être réalisée ».

Nous avons voulu publier l’Appel des camarades de Perspective Internationaliste, dont nous apprécions l’expérience, car nous pensons que la période actuelle engendre une désillusion inédite se concrétisant par la méfiance entre l’État et les travailleurs et la possibilité d’une affirmation importante, qui fut un temps considérée comme l’autonomie prolétarienne, nécessaire à une vaste coordination et à la recherche. Chaque ensemble se construit mais ne se fonde pas. Même si elle date, et qu’elle est sûrement adaptable, l’intuition des communistes radicaux des années 30 nous semble exprimer encore aujourd’hui l’essence de l’action des révolutionnaires mettant au cœur de leur réflexion la critique de l’économie politique : « Les groupes ne prétendent pas agir au nom de la classe ouvrière, mais se considèrent eux-mêmes membres de la classe ouvrière, ils ont eu, pour une raison ou l’autre, la possibilité de constater que la tendance sociale actuelle va dans le sens de l’effondrement du capitalisme ; c’est dans cette direction qu’ils cherchent à coordonner l’activité concrète des ouvriers. Ils sont conscients de n’être rien d’autres que des groupes de propagande, en mesure de proposer les orientations nécessaires à l’action, mais incapables de les diriger dans l’intérêt de la classe. Cela, la classe devra l’accomplir elle-même », Paul Mattick, 1949, Socialisme du capital et autonomie ouvrière.

Le défi auquel nous sommes confrontés est que nous sommes immergés dans un contexte où la perception d’un bien-être continu s’estompe, ainsi ce n’est pas la volonté d’un autre monde possible qui active les dynamiques sociales, mais fondamentalement la perception que ce monde est impossible.

Nous pensons que la contribution des camarades de Perspective Internationaliste pourra être un stimulant pour tous ceux ayant pris conscience de l’inadéquation de leur pratique passée et pourra être une réflexion dès aujourd’hui pour des camarades qui proviennent d’horizons différents. Prendre conscience de ce qu’il ne faut pas faire est déjà, pour nous, un premier pas vers ce qu’il faut faire.

 

Traduction par Mario Lucca de Controverses revue par Connessioni