Forum pour la Gauche Communiste Internationaliste
La catastrophe nucléaire du 11 mars 2011 au Japon (toujours en cours) est la plus grave depuis l’explosion du réacteur de Tchernobyl le 26 avril 1986. Son potentiel destructeur est encore plus grand parce que, sur l’ensemble du site de Fukushima Daiichi, c’est une masse bien plus considérable de combustible radioactif qui est concernée. Le gouvernement japonais, les autorités nucléaires et l’industrie sont fiévreusement engagés à essayer de reprendre le contrôle d’une catastrophe dont ils sont largement responsables. Malgré l’assistance internationale, les autorités japonaises en sont réduites à l’improvisation, ce qui comporte un risque d’aggravation du désastre. Pendant ce temps, les quatre réacteurs détruits continuent de relâcher des produits de fission radioactifs et des radiations ionisantes dans l’environnement.
Jamais auparavant, et en ‘temps de paix’, un désastre nucléaire de cette ampleur n’était survenu dans un des pays les plus avancés du capitalisme mondial. Il a considérablement frappé la fierté technologique du Japon qui exporte sa science nucléaire et constitue un important marché dans ce domaine également. Au plan international, ce désastre contrarie les politiques des gouvernements nationaux et les industries de ce secteur énergétique stratégique.
Selon les estimations officielles, les réacteurs ne seront pas neutralisés avant février prochain. Jusque là, un démantèlement final des installations est hors de question, comme l’est un nettoyage complet des lieux. Ce dernier prendra plus d’une décennie pour être achevé.
Le mécontentement et la colère au sein de la population japonaise au sujet de l’irresponsabilité des autorités et l’échec de leur réponse aux calamités qui ont frappé le pays commencent à s’exprimer de façon croissante dans des manifestations de rue, comme le 11 juin à Tokyo et dans d’autres villes du pays [1]. La population a de moins en moins confiance dans des autorités qui ont masqué et minimisé l’étendue et la gravité de la catastrophe nucléaire et, en conséquence, les graves conséquences pour les êtres humains et pour l’environnement.
Cela a commencé par la mise en cause de ‘l’utilisation pacifique’ de la technologie nucléaire ainsi que l’autorité gouvernementale concernée. Les protestations dénoncent l’échec de la réponse à la catastrophe et la responsabilité des autorités pour ce désastre nucléaire. La demande populaire porte sur de meilleurs services d’urgence, des compensations et un changement de la politique énergétique.
La réelle étendue du désastre n’apparaît que graduellement et pourrait devenir une autre cause de polémique dans les années à venir. La ‘compagnie d’énergie’ Tepco et l’État japonais ne sont pas les premiers dont le nez s’allonge pour avoir gardé le silence et minimisé l’étendue de la catastrophe nucléaire. Les USA les avaient précédés en 1979 lors de l’accident nucléaire de Three Mile Island près de Harrisburg (Pennsylvanie) où les autorités ne voyaient pas de danger pour la santé publique mais procédaient quand même à l’évacuation d’environ 140 000 habitants. L’explosion, plus importante, du réacteur de Tchernobyl (Ukraine) en 1986 a été passée sous silence par les autorités nationales et russe pendant plus d’une semaine jusqu’à ce qu’un institut suédois donne l’alarme suite à des hausses sans précédant de radioactivité.
Notre solidarité va aux populations touchées par la calamité, populations qui ont commencé à résister et qui, avec les ouvriers et les services de secours d’urgence, sont contraints de mettre leur santé et leur vie en danger pour éviter que la catastrophe devienne pire.
Quatre mois après l’énorme tremblement de terre de Tohoku et le tsunami qui a suivi et qui ont dévasté toute une région du nord-est de l’île principale, Honshu, le silence des autorités à propos de l’étendue réelle du désastre nucléaire est avant tout contredit par les révélations et dénonciations des experts, des scientifiques, des groupes de droits civiques et les activistes de l’environnement [2]. Comme la catastrophe de Tchernobyl l’a montré, les dommages biologiques et écologiques auront également des effets sur les générations à venir au Japon.
Avec nos modestes possibilités nous essayons de suivre les développements de la catastrophe en cours et d’approfondir les questions brûlantes qui se posent pour les marxistes et la Gauche Communiste.
Le désastre de Fukushima questionne la population mondiale sur le danger mortel de ‘l’utilisation pacifique’ de la technologie nucléaire et sur l’irresponsabilité des autorités dans la troisième plus grande économie mondiale [3]. 25 ans après Tchernobyl, la catastrophe au Japon pose une fois encore la question du nucléaire comme source d’énergie. Les efforts des industries et des gouvernements nationaux pour stimuler la ‘revalorisation’ de l’énergie nucléaire au niveau mondial en tant que prétendue ‘source d’énergie propre et bon marché’ et comme présumée alternative à faible émission de CO2 en remplacement de l’utilisation croissante de combustibles fossiles, est maintenant remise en cause.
Les plus importantes puissances du capitalisme ont fait le pari de l’expansion du nucléaire afin de faire face à leurs besoins croissants en énergie. Ils ont mené cela en parallèle avec une politique de prolongation de la durée de vie d’installations nucléaires obsolète, afin de gagner du temps pour la planification et le développement, l’étalage de contrats, d’auditions publiques pour la construction d’une nouvelle génération de réacteurs et, avant tout, pour neutraliser les résistances au sein de la population [4]. À la suite de l’accident d’un des réacteurs de Three Mile Island (Harrisburg) en 1979 et de la catastrophe de Tchernobyl (Ukraine) en 1986, qui tous deux se sont passés dans le contexte de la Guerre froide et de sa course maladive aux armements, l’utilisation de la technologie nucléaire a provoqué tant de résistance parmi les populations dans les vieux centres du capitalisme en occident, que les industries et les gouvernements (USA et Allemagne en tête) ont dû geler la plupart de leurs plans d’expansion pendant plus de deux décennies. De plus, le poids de la crise économique décourage les énormes investissements à long terme nécessités par les centrales nucléaires et entament les prévisions déjà douteuses des retours sur investissement. Les grandes campagnes et controverses sur le réchauffement global et la ‘question du CO2’ dans la décennie passée semblent, en fin de compte, avoir créé un climat favorable pour une acceptation à large échelle de l’énergie nucléaire et d’une industrie qui s’était affublée elle-même d’une image ‘verte’ et ‘durable’. La catastrophe du réacteur n°1 de Fukushima a fait exploser cette politique consistant à ‘vivre avec son temps’.
Dans plusieurs pays, les mouvements de protestation au sein de la population contre l’irresponsabilité de l’État et des autorités industrielles et contre la poursuite de l’utilisation de l’énergie nucléaire – avec ses nombreux problèmes non résolus et ses dangers, comme ceux de l’entreposage final des déchets radioactifs – ont connu un certain regain. En général, ces mouvements demandent la transition vers des sources d’énergie plus ‘durables’ comme alternative plus rationnelle et plus saine, sans mettre en cause le mode de production capitaliste en question.
En Allemagne, le désastre au Japon a poussé le gouvernement Merkel à accomplir en un jour un virage à 180° dans sa politique visant à prolonger la durée de vie de réacteurs obsolètes. Il a immédiatement mis hors service 8 réacteurs obsolètes, les inspections et évaluations étant en cours. Il était déjà évident que ces 8 réacteurs ne seraient pas reconnectés au réseau, même après les inspections. Néanmoins, à la suite des manifestations massives dans 4 des principales villes allemandes le 25 mars [5], le gouvernement de coalition de centre-droit CDU-FDP a subi des échecs importants dans trois élections fédérales consécutives au bénéfice des partis d’opposition, principalement les Verts. Le gouvernement fédéral a annoncé, en conséquence, que les 17 réacteurs nucléaires d’Allemagne seraient fermés dans les dix ans. À la suite de ce revirement, un conflit a éclaté au sein de la bourgeoisie allemande à propos de l’orientation de sa politique industrielle et énergétique, du caractère ‘réel’ de la production d’énergie à partir de ‘ressources durables’, de la faisabilité de construire une infrastructure pour sa distribution, de possibles ‘solutions’ à la question toujours pendante du traitement des déchets nucléaires, des scénarios de transition … alors que des plaintes contre l’État allemand ont été annoncées de la part de grandes entreprises de services d’énergie. Le gouvernement Merkel a engagé des efforts pour établir un nouveau ‘consensus national sur l’énergie’ dans lequel il veut impliquer les partis d’opposition. Le retour à la politique de son prédécesseur de centre-gauche du SPD et des Verts est devenu un autre point de controverse à propos de l’orientation de la politique allemande lors de la réunion entre Merkel et Obama le 7 juin [6].
Après le revirement du gouvernement allemand, le gouvernement suisse a annoncé l’arrêt de la construction de nouveaux réacteurs. Le 13 juin en Italie, le gouvernement Berlusconi a subi une défaite dans un référendum dont une des questions étaient de savoir s’il fallait à nouveau autoriser la construction de réacteurs nucléaires pour la première fois depuis 1987. Cela a été rejeté par la grande majorité des votants avec un taux de participation atteignant le quorum.
Dans ce désastre, le Japon surprend par la réserve de sa population envers les formes cyniques, les menaces sanitaires et la façon dont la classe dominante gère la situation et les conséquences du tremblement de terre et de la catastrophe nucléaire. Cependant, lors de la manifestation du 11 juin à Tokyo, 20 000 personnes y ont participé. Cela représentait une forte augmentation par rapport aux protestations modestes habituelles dans un pays où il n’est pas considéré comme décent de contester ouvertement le gouvernement. Les manifestants dénonçaient la faillite de la gestion du désastre et mettaient en avant la responsabilité des autorités dans la catastrophe nucléaire. Ils demandaient de meilleurs services de secours d’urgence, des compensations et la révision des politiques énergétiques.
Est significatif de la perte d’autorité du gouvernement que, ni la spectaculaire annonce par le premier ministre Naota Kan, début mai, de reconstruire la politique énergétique du Japon en partant de zéro et de recourir pour une plus large part aux ‘énergies renouvelables’, ni l’appel, par la suite, d’arrêter deux des réacteurs du site de Hamaoka (des travaux de construction sont en cours pour les protéger contre un tsunami), n’ont empêché les manifestations de s’élargir. Le consensus parmi les Japonais consistant à accepter la voie de l’énergie nucléaire, malgré tous ses problèmes et dangers, s’érode chaque jour un peu plus. Selon les enquêtes d’opinion, une large majorité de la population japonaise commence à refuser ‘l’utilisation pacifique de l’énergie nucléaire’ comme source première de production électrique. De nouvelles manifestations plus nombreuses sont prévues pour septembre.
Le mécontentement et les protestations contre la poursuite et l’extension de l’énergie nucléaire n’affectent pas seulement les centres traditionnels du capitalisme hantés par la crise économique la plus profonde depuis 1929. En effet, dans l’économie ‘émergente’ de l’Inde, dans la région de Jaitapur à 400 km au sud de Bombay (Mumbay), la population locale de paysans et de pêcheurs résiste depuis déjà 4 ans au plan du gouvernement national de Delhi visant à construire le plus grand site d’énergie nucléaire au monde. Ce dernier veut qu’une co-entreprise avec la compagnie française Areva construise six nouveaux réacteurs EPR à uranium de 1650 gigawatt de puissance chacun [7]. La population locale craint pour sa santé, son mode de vie et craint surtout que l’écosystème qui est la source de ses moyens d’existence soit compromis, elle est entrée en résistance patiemment et avec une grande persévérance – soutenue par des militaires dissidents, des scientifiques nucléaires, des sociologues et des écologistes [8].
Ces mouvements sociaux mettent les pouvoirs en place face à une perte de crédibilité et d’autorité croissante au sein de la population de ces pays puisqu’elles mettent en question la politique d’un secteur stratégique de l’économie nationale. De plus, elles montrent l’actualité de vielles questions fondamentales du marxisme telles que : la question des rapports entre l’homme et la nature, le rôle de la technologie dans l’exploitation par le capitalisme des hommes et de la nature, du capitalisme qui transforme les forces productives sociales en forces de destruction ; la question des alternatives à cela et leurs conséquences pour les politiques industrielles et énergétiques dans une société qui romprait avec la loi de la valeur. Enfin, et non des moindres, cela remet à l’ordre du jour la question de l’attitude des minorités révolutionnaires vis-à-vis des mouvements de protestation parmi la population qui expriment des demandes et des préoccupations justifiées, confrontés aux effets destructeurs de l’industrialisme capitaliste sur la santé publique et l’environnement ; mouvements qui, souvent sans succès, essaient de se dresser contre l’irresponsabilité de l’État et des autorités industrielles qui agissent inconsidérément au service des profits privés et de l’exploitation des hommes et de la nature en faveur de l’accumulation du capital.
Jac. Johanson, le 23 juillet 2011
Traduit de l’anglais par B.
– Parti Communiste International (PCInt), Le Prolétaire, no. 499), march – april 2011 : Tremblement de terre au Japon : Les responsabilités criminelles du capitalisme dans la catastrophe
– International Communist Tendency, 17 march 2011 : From Hiroshima to Fukushim
– International Communist Tendency, (GIS), 25 March 2011 : Stilllegung aller Atomkraftwerke durch Stilllegung der herrschenden Klasse !
– International Communist Current (ICC), 1 April 2011 : Earthquakes, tsunamis and nuclear accidents in Japan : capitalism is a horror show
– Initiative Communiste Ouvrière (ICO), 18 april 2011 : Les accidents nucléaires au Japon et la question du communisme
– Matière et Révolution, 25 May 2011 : Japon ; trois réacteurs en fusion et cela ne fait même plus partie de l’actualité très médiatisée...
[1] Reuters, 11 June 2011 : Japan anti-nuclear protesters rally after quake ; The New York Times, 11 June 2011 : Protests in Japan Challenge Nuclear Power
[2] Aljazeera.net, 16 juni 2011 : Fukushima : It’s much worse than you think ; Le Monde, 29 juni 2011 : Fukushima : la Criirad dénonce des ‘carences graves’ dans la gestion
[3] La Chine a dépassé le Japon pour le Produit Intérieur Brut (PIB) en 2010 et a donc pris la seconde place dans le classement mondial, derrière les USA.
[4] L’International Energy Outlook (Perspective Internationale de l’Énergie) de juillet 2010, publié par la US Energy Information Administration (Administration à l’Information sur l’Énergie US) jette une certaine lumière sur la voie empruntée par l’industrie nucléaire : un pari sur la politique des États pour continuer d’utiliser et de rentabiliser les plus vieilles installations : « La production d’électricité issue de l’énergie nucléaire a augmenté d’environ 2,6 milliard de kilowatt/heure en 2007 jusqu’à 3,6 milliards projetés en 2020 et 4,5 milliards en 2035. Des prix plus élevés à l’avenir pour les énergies fossiles rendent l’énergie nucléaire économiquement compétitive par rapport à celle produite avec le charbon, le gaz naturel et le pétrole, et ce malgré le coût en capital relativement haut pour les centrales nucléaires. De plus, des taux plus élevés d’utilisation de capacité ont été annoncés pour beaucoup d’équipement nucléaire existant et la projection prévoit que l’on accordera à la plupart des centrales atomiques plus vieilles dans les pays de l’OCDE, non-OCDE, et de l’Eurasie, les extensions à leur temps d’exploitation ».
[5] A ce jour, dans 4 villes principales (Berlin, Hambourg, Cologne et Munich), environ 250 000 personnes sont descendues dans la rue pour demander l’arrêt des réacteurs nucléaires et le changement de la politique énergétique. Les plus importants partis de l’opposition, SPD et les Verts, les leaders syndicaux du DGB et le PDS/Die Linke marchaient en tête.
[6] Les autres controverses furent la ‘crise de l’euro’ et les opérations militaires en Lybie.
[7] EPR pour European Pressurized Reactor, un nouveau type de réacteur à eau pressurisée qui n’a été testé nulle part dans le monde. Un premier réacteur est en construction en Finlande et atteint des records dans le dépassement des délais de construction et des coûts.
[8] Source : Le Monde Diplomatique n°685, avril 2011 : « Le projet d’Areva contesté en Inde – Atome contre biodiversité à Jaitapur ».