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Morale et matérialisme historique – Ière partie

 

Cette contribution traite d’un sujet qui n’a pratiquement pas été abordé par la Gauche Communiste internationaliste : l’émergence et le rôle de la morale dans l’histoire de l’humanité. Elle montre en quoi le marxisme la considère, à la fois comme une expression des rapports sociaux contradictoires que les hommes ont noués entre eux dans la production de leur existence, et comme un produit des intérêts d’un groupe social en particulier. Elle approfondi cette compréhension à la lumière des dernières avancées de la science, et illustre quelques questions éthiques au travers de confirmations puisées dans les études anthropologiques.

 

I - Marxisme et morale

 

1) La nature humaine


Au cœur de la vision marxiste des sociétés humaines se trouve un énoncé que la science a largement confirmé depuis lors : « l’homme est un animal social » [1]. C’est pourquoi Marx dira dans sa sixième thèse sur Feuerbach que « L’essence humaine c’est l’ensemble des rapports sociaux ». En effet, les sociétés humaines sont constituées de rapports sociaux que les hommes nouent entre eux dans leur vie sociale, productive, politique, familiale, matrimoniale, amicale, etc. Ces rapports forment la trame des sociétés, leur épaisseur sociale, et constituent les briques élémentaires de l’analyse marxiste. C’est la manière de voir ces rapports sociaux que Marx présentera comme étant son apport théorique fondamental : « Ce travail représente pour la première fois d’une façon scientifique une importante manière de voir les rapports sociaux. C’est donc mon devoir à l’égard du parti que la chose ne soit pas défigurée… » [2].

Marx rompait ainsi avec toute la tradition intellectuelle jusqu’alors qui consistait à partir de l’homme et d’un présupposé concernant sa nature : ‘l’homme est naturellement bon’ (Rousseau), ‘l’homme est un loup pour l’homme’ (Hobbes), ‘l’homme est égoïste’ (Malthus, Bentham), ou, plus tard, ‘l’homme est un être solidaire’ (Kropotkine), etc. Concevoir l’homme et sa nature comme des produits historiques et sociaux construits par l’humanité agissante était en rupture totale avec toutes ces démarches de l’époque. La nature humaine pour Marx ne préexiste pas à l’homme, c’est l’homme agissant qui définit sa propre nature : elle est le produit de sa propre activité. Dès lors, la nature humaine est avant tout un produit social, elle évolue avec l’histoire des sociétés : « …l’homme, ce n’est pas une essence abstraite blottie quelque part hors du monde. L’homme, c’est le monde de l’homme, l’État, la société » [3].

Pour le marxisme, la nature humaine se construit à partir des rapports sociaux contradictoires que les hommes nouent entre eux dans la production et la reproduction de leur vie : « …Feuerbach ne conçoit pas le sensible comme activité pratique humaine et sensible. Feuerbach réduit l’essence de la religion à l’essence humaine. Mais l’essence humaine n’est pas une abstraction inhérente à l’individu pris à part. Dans sa réalité effective, c’est l’ensemble des rapports sociaux » [4].

Cette essence humaine possède donc trois caractéristiques fondamentales :
1) elle n’est pas une chose abstraite mais pratique ;
2) elle n’est pas propre à un individu isolé mais relative à l’espèce humaine ;
3) elle s’identifie à l’ensemble des rapports sociaux.
C’est ce que Marx et Engels expliqueront aussi dans l’Idéologie allemande : « ce que les individus sont [leur nature humaine]  » correspond à « la façon dont les individus manifestent leur vie [et] avec la façon dont ils produisent » [5].

 

2) Le darwinisme et la nature humaine


Avec Marx, la condition humaine s’est métamorphosée de donnée naturelle en produit social et historique. C’est ce qui lui a permis de rejeter, tant les conceptions définissant la nature humaine ‘en général’ au lieu d’y voir « les modifications propres à chaque époque historique » [6], que celles mettant l’accent sur les fondements biologiques des comportements humains, à savoir que « l’individu est conforme à la nature en tant qu’être issu de la nature et non en tant que fruit de l’histoire » [7].

Ainsi, en recherchant les réponses dans les constructions sociales des hommes, Marx avait déjà dépassé le point de vue du matérialisme humaniste que défendra Darwin douze ans plus tard dans ses études sur La filiation de l’homme et la sélection liée au sexe (1871) et L’Expression des émotions chez l’homme et les animaux (1872). Dans ces deux ouvrages, Darwin met à juste titre l’accent sur l’apparition et le développement des émotions et instincts sociaux parmi les espèces supérieures, notamment pour contrebalancer les dérives sociobiologistes de ses pairs qui, à partir de ses propres travaux, érigeaient la concurrence et la lutte pour la vie en lois sociales immuables à l’image de la concurrence économique au sein du capitalisme (cf. T.H. Huxley et F. Galton). Mais cette réponse de Darwin, aussi légitime soit-elle, reste encore prisonnière d’une vision naturaliste de l’homme. Pour Marx, au contraire, la nature humaine ne trouve pas et ne peut trouver son fondement essentiel dans la biologie mais dans le monde social de l’homme : la sélection naturelle a fourni à l’homme un bagage de facultés et d’instincts – tant solidaires et communautaires, qu’individualistes et concurrents – qui offrent un champ de possibles sur lesquels se déploient les rapports sociaux que les hommes nouent entre eux dans la production et la reproduction de leur vie. Ces rapports sociaux vont venir façonner, développer, ou réfréner ce bagage hérité de la nature. Ce sont les sociétés qui édictent les règles morales, qui interdisent ou favorisent ce que les hommes peuvent faire ou non : ce sont désormais les lois de l’évolution sociale qui aiguillonnent les sociétés humaines et fondent la morale, et non plus la sélection naturelle et les instincts [8].

 

3) Les fondements de la morale


Pour le marxisme, la conscience et l’intelligence rationnelle de l’homme ne sont pas tant un résultat biologique (taille du cerveau, etc.) qu’un produit de ses activités à un stade donné de son évolution, et dans le cadre des relations économiques et sociales qu’il entretient avec ses semblables : « Ce n’est pas la conscience des hommes qui détermine leur existence, c’est au contraire leur existence sociale qui détermine leur conscience » [9], et « …les idées, les opinions et les conceptions, en un mot la conscience des hommes changent en fonction de leurs conditions de vie, de leurs rapports sociaux, de leur existence sociale. L’histoire des idées, que démontre-t-elle sinon que la production spirituelle se transforme en même temps que la production matérielle ? Les idées qui dominaient une époque n’étaient jamais que les idées de la classe dominante » [10]. La sélection naturelle, l’accroissement de la taille du cerveau, l’extension des capacités linguistiques…, tout cela ne sont que des potentialités offertes par la nature : ce sont les hommes qui les développent grâce à la multiplication de leurs rapports sociaux nécessités par la production de tous les moyens de leur existence (matérielle, familiale, spirituelle, etc.). C’était là le fond théorique déjà posé par Engels dans son étude anthropologique de 1876 sur « Le rôle du travail dans la transformation du singe en homme », et ce, même si la science nous permet aujourd’hui d’en corriger certaines limitations liées à l’époque.

Il en va de même pour l’émergence de la morale et des règles de vie qui s’établissent dans une société : elles ne découlent pas d’une nature humaine existante à priori, ni de données naturelles, mais se dégagent des activités matérielles et sociales des hommes. C’est pourquoi, dans leur ouvrage Anti-Dühring, Marx et Engels définissent la morale et le droit comme des « rapports sociaux » résultant « des conditions historiques » spécifiques à chaque société : « [Dühring] construit la morale et le droit en partant du concept ou des éléments dits les plus simples “ de la société ”, au lieu de les tirer des rapports sociaux réels des hommes qui l’entourent… » ; pour «  Dühring et sa méthode … des rapports sociaux comme la morale et le droit n’étaient pas décidés d’après les conditions historiques existantes dans chaque cas… » [11].

En conséquence, tout comme pour de nombreuses instances de la société qui ont émergé dans l’histoire, le marxisme fait découler la morale des rapports sociaux contradictoires que les hommes ont noués entre eux dans la production et la reproduction des moyens de leur existence : « …consciemment ou inconsciemment, les hommes puisent en dernière analyse leurs conceptions morales dans les rapports pratiques sur lesquels se fonde leur situation de classe, dans les rapports économiques dans lesquels ils produisent et échangent » [12].

L’éthique humaine ne peut donc se concevoir comme deux listes de règles morales atemporelles dont l’une contiendrait les règles sociales découlant des instincts sociaux, et l’autre, reprendrait les comportements antisociaux engendrés par la concurrence et la lutte pour la survie dans un cadre de pénurie et de faible développement des forces productives. En réalité, ces règles sont multiples, changeantes et aussi transitoires que les activités et relations établies par les hommes entre eux  : « de peuple à peuple, de période à période, les idées de bien et de mal ont tant changé que souvent elles se sont carrément contredites » [13], constat que Trotski amplifie dans son opuscule Leur morale et la nôtre  : « L’attitude dialectique envers la morale, produit fonctionnel et transitoire de la lutte de classe, paraît ‘amorale’ aux yeux du bon sens. La dialectique, au contraire, considère les phénomènes, les institutions, les normes dans leur formation, leur développement et leur déclin ».

A ces constats majeurs dégagés par le marxisme, il faut rajouter la précision que, lorsque Marx, Engels ou Trotski font découler la morale de la ‘lutte des classes’, nous devons traduire cela par ‘les contradictions sociales’, car la morale est le produit de ces contradictions dès l’aube de l’humanité, bien antérieurement à l’apparition des classes (les prémisses de la morale sont mêmes déjà attestées chez nos cousins les singes supérieurs !).

 

II - Les thèses controversées [14]


Le texte Marxisme et éthique du CCI [15] défini la morale comme étant une somme de « sentiments » émanant « de la société dans son ensemble », et tirant son origine des « instincts sociaux (que Darwin appelle "altruistes") », instincts « qui existaient déjà dans le monde animal et qui prennent de plus en plus un caractère conscient » (n°111). C’est cette morale qui constitue le véritable ciment de la société : « la morale remplit la fonction de favoriser les pulsions sociales en opposition aux pulsions antisociales de l’humanité, dans l’intérêt de la cohésion de la communauté. Elle canalise l’énergie psychique dans l’intérêt de tous ».

Cette thèse défend l’idée que « la morale exprime les besoins de la société dans son ensemble », qu’elle possède « un caractère collectif », et permet « d’identifier les principes et les règles de vie commune des membres de la société ». Ces règles sont résumées dans deux listes de pulsions qui sont à la base des comportements humains : l’une est constituée de « pulsions sociales » comme « la solidarité, la sensibilité, la générosité, le soutien aux nécessiteux, l’honnêteté, l’attitude amicale et la bienveillance, la modestie, la solidarité entre générations », et l’autre de « pulsions antisociales » comme « l’indifférence envers les autres, la brutalité, l’avidité, l’envie, l’arrogance et la vanité, la malhonnêteté et le mensonge ».

Cette opposition entre deux univers pulsionnels est codifiée en invariants atemporels dans la morale collective de l’humanité : « les êtres humains ont toujours reconnu la valeur » des « pulsions sociales », alors que les « pulsions antisociales […] ont toujours provoqué la désapprobation et l’indignation ». Ce sont les « émotions et instincts sociaux » engendrés par la sélection naturelle qui ont permis à la morale de « remplir la fonction de favoriser les pulsions sociales en opposition aux pulsions antisociales de l’humanité ». Cependant, après la phase du communisme primitif au cours de laquelle les hommes ont vécus « de véritables rapports de solidarités » découlant de leurs « instincts sociaux », les sociétés de classes ont développé les « pulsions asociales ». C’est pourquoi « les lois économiques du capitalisme, basées sur la concurrence, interdisent à l’espèce humaine de développer pleinement ses instincts sociaux » [16]. Dès lors, l’« un des principaux buts de la révolution communiste, c’est la victoire des instincts sociaux sur les pulsions antisociales ». Ainsi libérée, « l’humanité pourra construire une société où ces instincts sociaux prendront leur totale mesure et conduiront à leur tour la civilisation humaine à son accomplissement » [17].

A cela, le CCI rajoute qu’il existe une appréhension psychologique et morale de la réalité permettant « d’approprier le monde social à travers des jugements sur le bien et le mal, sur ce qui est acceptable et ce qui ne l’est pas » et ayant un « caractère impératif ». Pour le CCI, « cette approche morale de la réalité utilise des mécanismes psychiques spécifiques, comme la bonne conscience et le sens des responsabilités ». Il en découle que c’est cette approche morale et impérative de la réalité qui est déterminante dans « la prise de décision et le comportement général », puisque ce « moyen d’appropriation et de transformation de la réalité a un caractère collectif » qui « influence la prise de décision et le comportement général et, souvent, les déterminent ». C’est pourquoi le texte du CCI introduit la défense d’« idéaux les plus élevés de l’humanité » que sont « la paix intérieure et l’harmonie avec le monde social ».

Certes, ce texte reconnaît aussi que, « en général, la morale dominante est celle de la classe dominante », mais il atténue immédiatement ce constat en affirmant que l’approche morale du monde n’exprime pas que les intérêts particuliers d’un groupe social donné : « le caractère de classe d’une morale donnée ne doit pas nous faire perdre de vue le fait que tout système moral contient des éléments humains généraux qui contribuent à la préservation de la société… ». Ce caractère de classe est encore plus amoindri par le fait que le CCI considère qu’il s’agirait de la confiscation de la morale « de la société dans son ensemble » par les classes dominantes : « les sentiments moraux de la société dans son ensemble ont toujours été utilisés par les exploiteurs ». En conséquence, la tâche du prolétariat sera de libérer la morale commune appartenant à l’ensemble de la société du « fléau de la mauvaise conscience » que les classes dominantes y ont introduit : « …le prolétariat est la seule classe de l’histoire qui puisse … libérer la morale, et donc l’humanité, du fléau de la ‘mauvaise conscience’… ». Dans cette « vision grandiose du marxisme », le communisme de demain sera le « grand saut dans le royaume de la liberté qui nous attend dans le futur » (n°135).

Telles sont les thèses sur la morale et l’anthropogenèse défendues par le CCI. Elles sont l’objet de notre discussion et nous obligent à rétablir les véritables acquis du marxisme sur cette question. De même, nous tenterons d’approfondir ces acquis grâce aux avancées de la connaissance dans de nombreux domaines.

 

III - Morale et matérialisme historique

 

1) La morale comme rapport social


Le matérialisme historique et dialectique s’appuie sur ce constat évident que, depuis l’aube de l’humanité, les hommes ont noué des rapports sociaux entre eux afin d’assurer la production et la reproduction des moyens de leur existence : se nourrir, se loger, se reproduire et, plus généralement, assurer toutes les prestations sociales nécessaires à la vie en communauté : rites, mariages, justice, règles morales, éducation des enfants… Ces rapports sociaux entre les hommes sont contradictoires et forment la base des structures et de la dynamique d’évolution des sociétés. Ces relations sociales fondatrices de la vie en société constituent l’acte premier de l’humanité sans lequel rien ne serait possible : « En produisant, les hommes ne sont pas seulement en rapport avec la nature. Ils ne produisent que s’ils collaborent d’une certaine façon et font échange de leurs activités. Pour produire, ils établissent entre eux des liens et des rapports bien déterminés : leur contact avec la nature, autrement dit la production, s’effectue uniquement dans le cadre de ces liens et de ces rapports sociaux » [18]. Ce sont ces rapports sociaux et les contradictions qui les animent qui constituent les instances déterminantes dans toute société. Ils sont à la base des différentes civilisations, de leur évolution et de leur caractère transitoire. L’appréhension marxiste du monde consiste donc à mettre en évidence tous les rapports sociaux que les hommes ont noués entre eux. Tel est le fondement matérialiste, historique et dialectique de la conception marxiste du monde [19]. C’est pourquoi, dans leur ouvrage Anti-Dühring, Marx et Engels définissent la morale et le droit comme des « rapports sociaux » spécifiques à chaque société, alors que le CCI caractérise la morale comme un ensemble de « sentiments moraux de la société dans son ensemble ». C’est la première divergence de ce dernier avec le marxisme.

 

2) La morale comme rapport social contradictoire


Depuis l’apparition de la richesse au sortir du paléolithique supérieur [20], ce sont les antagonismes sociaux pour l’appropriation de celle-ci qui sont à la racine du développement de la productivité du travail et donc des forces productives [21]. C’est pourquoi la célèbre formule du Manifeste Communiste présentant la lutte de classe comme le moteur de toute l’histoire de l’humanité – « L’histoire de toute société jusqu’à nos jours, c’est l’histoire de la lutte de classe » – n’est en réalité que la déclinaison, pour les sociétés divisées en classes, d’une loi plus générale qui fait des contradictions sociales le véritable aiguillon de l’évolution du genre humain [22].

Les prémisses de ces contradictions existent d’ailleurs déjà chez nos cousins les singes supérieurs (chimpanzés, bonobos, etc.), elles président aux destinées de l’humanité dès ses origines, elles aiguillonnent toutes les sociétés humaines, et, contrairement aussi à ce qui est souvent affirmé, elles ne disparaitront pas sous le communisme supérieur qui est amené à succéder au capitalisme : elles continueront d’y exister et de faire évoluer le genre humain ! Ce qui aura changé, c’est leur caractère antagonique propre aux différentes sociétés de classes. Telle est la double proposition de base à la racine de la dialectique de l’histoire : d’une part, « Pas d’antagonisme, pas de progrès. C’est la loi que la civilisation a suivie jusqu’à nos jours » dira Marx [23] et, d’autre part, que « L’antagonisme et la contradiction, ce n’est pas du tout la même chose. Dans le socialisme, l’antagonisme disparaîtra tandis que la contradiction demeurera » [24]. En effet, si le communisme de demain ne sera plus l’expression de la domination d’une partie de la société sur une autre (antagonisme), il sera néanmoins toujours fondé sur des rapports sociaux contradictoires que les hommes noueront entre eux dans leur vie sociale. Ce sont ces rapports qui continueront à faire évoluer l’homme et la civilisation.

Dès lors, tout comme pour l’État et beaucoup d’autres instances nées de la société, les fondateurs du socialisme scientifique analyseront la morale comme une expression de la nécessité d’arbitrer les rapports sociaux contradictoires qui la traversent. En effet, pour que ces contradictions n’entravent pas le bon déroulement de la vie sociale, le besoin s’est imposé d’un corpus idéologique qui, placée en apparence au-dessus de la société, doit les gérer et les maintenir dans certaines limites sociales. Ce pouvoir idéologique, né de la société, mais qui se place au-dessus d’elle et qui s’impose à tous, c’est la morale. En effet, comme l’expliquait Trotski, une société sous l’emprise de ses contradictions ne résisterait pas une seule semaine s’il n’existait pas des institutions et idéologies pour maintenir la cohésion sociale : « Un semblable régime, fondé sur la seule contrainte, ne durerait pas une semaine. Le ciment de l’éthique lui est indispensable » (Leur morale et la nôtre). Alors que le marxisme analyse la morale comme étant une expression de la nécessité d’arbitrer les rapports sociaux contradictoires entre les hommes, le CCI défend l’idée que « la morale exprime les besoins de la société dans son ensemble ». C’est la seconde divergence qu’il développe avec le marxisme.

 

3) La morale comme expression d’intérêts particuliers


La morale est donc née du besoin de gérer et contenir les contradictions sociales, mais étant née au milieu de celles-ci, elle est, en règle générale, la morale d’un ou de plusieurs groupes sociaux particuliers et en exprime leurs conceptions idéologiques : « …consciemment ou inconsciemment, les hommes puisent en dernière analyse leurs conceptions morales dans les rapports pratiques sur lesquels se fonde leur situation de classe, - dans les rapports économiques dans lesquels ils produisent et échangent » (Anti-Dühring). En conséquence, le matérialisme historique exclut de concevoir la morale comme un corpus de « sentiments moraux de la société dans son ensemble ». Cette idée du CCI l’amène malheureusement à reprendre à son compte la justification idéologique typique de tous les dominants, à savoir que la morale transcenderait les divisions sociales : « l’existence de valeurs communes qui donnent une cohésion à la société, et de progrès éthiques. La continuité du sentiment de communauté n’est pas cependant une fiction métaphysique » (n°128).

Trotski s’est exprimé clairement à ce sujet : « N’y a-t-il pas pourtant des règles élémentaires de morale élaborées par le développement de l’humanité tout entière et nécessaires à la vie de toute collectivité ? Il y en a, certes, mais leur efficience est très instable et limitée. Les normes ‘impératives pour tous’ sont d’autant moins efficientes que la lutte des classes devient plus âpre » [25]. Quand à Marx et Engels, ils sont encore plus catégoriques puisque, théoriquement, ils affirment qu’il faut repousser « toute prétention de nous imposer quelque dogmatisme moral que ce soit comme loi éthique éternelle, définitive, désormais immuable, sous le prétexte que le monde moral a lui aussi ses principes permanents qui sont au-dessus de l’histoire… » (Anti-Dühring), et, empiriquement, ils l’attestent en démontrant que « de peuple à peuple, de période à période, les idées de bien et de mal ont tant changé que souvent elles se sont carrément contredites » (Anti-Dühring). Telle est la troisième divergence que le CCI développe avec le marxisme.

En effet, Marx et Engels ont toujours dénoncé l’idée que la morale exprimait « l’intérêt de tous », car elle ne se situe pas au-dessus des contradictions sociales, elle en est une de ses expressions idéologiques et, comme toutes les expressions idéologiques issues des contradictions sociales, celle-ci est inévitablement investie par les intérêts spécifiques de l’un ou l’autre groupe social. La morale n’est donc pas déterminée par « des mécanismes psychiques comme la bonne conscience et le sens des responsabilités » et qui « canalise l’énergie psychique dans l’intérêt de tous », comme le développe le CCI, mais elle légitime avant tout des intérêts particuliers qui sont présentés comme généraux et indispensables au bon fonctionnement de la société dans son ensemble. En conséquence, les règles morales n’ont de caractère impératif que parce qu’elles sont imposées par l’un ou l’autre groupe social particulier au nom de l’intérêt général. En dernière instance, la morale est une expression sur le plan idéologique des contradictions d’une société donnée et des intérêts de groupes sociaux particuliers. C’est pourquoi, il faut réaffirmer avec force l’analyse de Marx et Engels selon laquelle : « …toute théorie, morale du passé est, en dernière analyse, le produit de la situation économique de la société de son temps » (Anti-Dühring) et, comme le dit Trotski : « …la morale est le produit du développement social ; elle n’a rien d’invariable ; elle sert les intérêts de la société ; ces intérêts sont contradictoires ; la morale a, plus que toute autre forme d’idéologie, un caractère de classe » [26].

Si la morale dans une société exprime la façon dont un groupe particulier (généralement dominant) arbitre les contradictions sociales à son bénéfice, cela signifie qu’il existe aussi autant de morales et de règles morales que de groupes sociaux aux intérêts divergents : ainsi, à côté de la morale bourgeoise dominante, il existe une morale aristocratique, petite-bourgeoise, prolétarienne, etc. C’est pourquoi Trotski disait que « Les normes ‘impératives pour tous’ sont d’autant moins efficientes que la lutte des classes devient plus âpre » [27].

 

4) La morale comme produit historique


Pour Marx et Engels, la morale se modifie avec l’évolution des sociétés et des groupes sociaux. Or, en soutenant explicitement l’idée que les hommes auraient toujours reconnu ou réprouvé certains « sentiments moraux »  : (a) « les êtres humains ont toujours reconnu la valeur [de] la solidarité, la sensibilité, la générosité, le soutien aux nécessiteux, l’honnêteté, l’attitude amicale et la bienveillance, la modestie, la solidarité entre générations », et que (b) « l’indifférence envers les autres, la brutalité, l’avidité, l’envie, l’arrogance et la vanité, la malhonnêteté et le mensonge ont toujours provoqué la désapprobation et l’indignation », le CCI développe une quatrième divergence très nette avec le marxisme. En effet, une morale atemporelle faite « de pulsions sociales » que « les êtres humains ont toujours reconnus », et de « pulsions antisociales » que les hommes auraient « toujours réprouvés », est justement ce que Marx et Engels ont toujours combattu : le « dogmatisme moral que ce soit comme loi éthique éternelle, définitive, désormais immuable, sous le prétexte que le monde moral a lui aussi ses principes permanents qui sont au-dessus de l’histoire » (Anti-Dühring).

 

5) La morale et l’évolution des sociétés


Dans son texte, le CCI défend à la fois les idées d’une morale atemporelle, d’un « progrès moral dans l’histoire », et d’une morale faite de « nobles principes communautaires » dans les sociétés primitives. Mais, si la morale au sein de ces dernières était telle, nous sommes alors en droit de se demander en quoi a consisté le « progrès moral dans l’histoire »  ! Cette contradiction, le CCI la résout ainsi :

a) A l’origine, les hommes vivaient sous le régime du communisme ‘primitif’ conçu comme un paradis d’origine, puisque organisé selon « de véritables rapports de solidarité », et possédant une morale faite de « nobles principes communautaires » découlant des « instincts sociaux ».

b) Cependant, le faible développement des forces productives a provoqué sa chute dans les divisions en classes antagoniques et la dégradation morale qui « interdisent à l’espèce humaine de développer pleinement ses instincts sociaux » [28].

c) S’ensuit alors une longue phase de rédemption pour ce paradis perdu grâce « au développement des forces productives ». Malheureusement, ces dernières restent encore entravées par les chaînes des sociétés d’exploitation, chaînes que le prolétariat devra briser.

d) Cette libération des forces productives instaurera l’abondance : le « grand saut dans le royaume de la liberté qui nous attend » (n°135) et dans lequel « l’humanité pourra construire une société où ces instincts sociaux prendront leur totale mesure et conduiront à leur tour la civilisation humaine à son accomplissement » [29]. Bref, un véritable paradis retrouvé où le prolétariat aura « libéré la morale, et donc l’humanité, du fléau de la ‘mauvaise conscience’… », où il fera régner « la victoire des instincts sociaux sur les pulsions antisociales », ainsi que les « idéaux les plus élevés de l’humanité » que sont « la paix intérieure et l’harmonie avec le monde social ».

C’est en reprenant ce schéma à la base de toutes les visions religieuses de l’histoire du monde que le CCI parvient à concilier son affirmation d’une morale communiste à l’origine de l’humanité et celle d’un progrès moral dans l’histoire. Ceci constitue la cinquième divergence qu’il développe avec le marxisme.

 

IV - Quelques validations scientifiques


Pour se convaincre du caractère social, historique, et évolutif de la morale dégagé par le marxisme, nous pouvons reprendre quelques uns des « sentiments moraux » atemporels que les hommes auraient « toujours reconnu » ou qui auraient « toujours provoqué la désapprobation » d’après le CCI, pour constater, tout d’abord, que ce ne fut jamais le cas, ensuite, qu’ils ont fort varié au cours du temps et, enfin, que la morale d’une société donnée exprime bel et bien les contradictions des rapports sociaux sur lesquels elle se fonde, et non pas les « sentiments moraux de la société dans son ensemble ».

 

1) Le vol


Ainsi, est-il affirmé que l’interdiction du vol et du meurtre serait une ancienne règle communautaire que les hommes auraient toujours reconnue : « le prolétariat intègre dans son mouvement d’anciennes règles de la communauté [comme] l’interdiction du vol et du meurtre ». Or, le marxisme a montré au contraire que ces règles sont des produits historiques et relatifs à des sociétés données : « Dès l’instant où la propriété privée des objets mobiliers s’était développée, il fallait bien que toutes les sociétés où cette propriété privée prévalait eussent en commun le commandement moral : tu ne voleras point. Est-ce que par là ce commandement devient un commandement moral éternel ? Nullement. Dans une société où les motifs de vol sont éliminés, où par conséquent, à la longue, les vols ne peuvent être commis que par des aliénés, comme on rirait du prédicateur de morale qui voudrait proclamer solennellement la vérité éternelle : Tu ne voleras point ! » (Anti-Dühring). De ce que l’on en sait, le vol est inconnu chez les aborigènes australiens. Rien de plus logique puisque ces sociétés primitives ne connaissent pas encore la richesse matérielle. Le vol n’apparaît donc qu’avec la naissance de cette dernière et les enjeux autour d’elle. De même, l’on peut aussi supposer, comme Engels, et cela sans verser dans une quelconque naïveté, que le vol disparaîtra progressivement dans le communisme de demain.

Ce qui vient d’être développé pour le vol vaut également pour l’honnêteté. Alors que d’après le CCI « l’honnêteté » aurait « toujours été reconnue par les hommes » et que « la malhonnêteté et le mensonge » auraient « toujours été réprouvés », Trotski, à juste titre, énonce explicitement le contraire, à savoir que « les notions de vérité et de mensonge sont nées des contradictions sociales » (Leur morale et la nôtre).

 

2) Le meurtre


Quand au meurtre, nombre de communautés primitives le glorifient ! De même, la vendetta est massive dans les sociétés sans État. En voici quelques exemples significatifs glanés dans une abondante littérature scientifique [30] :

a) Le meurtre était une chose tellement banale chez les Eskimos que l’explorateur danois Rasmussen, visitant un camp Inuit au début des années 1920, rapporte que chacun des quinze adultes mâles présents se flattait d’avoir commis au moins un meurtre au cours de son existence, meurtres dont la raison était invariablement un conflit galant.
b) De même : « cherchant à savoir pourquoi chez les Birifo du nord de la Côte d’Ivoire il y a si peu de vieillards, là où ailleurs il n’en manquait pas, on entend que les neveux tuent leurs oncles vieillissants afin d’hériter et que non seulement le jeune meurtrier ‘est acclamé par tout le village’ mais ne peut se marier sans avoir ‘au moins un meurtre à son actif’ » [31].

c) De récentes fouilles à Atapuerta en Espagne ont démontré que les premiers européens se livraient à un cannibalisme non motivé par des besoins alimentaires ou de rituels. En effet, la région où ils vivaient et les restes alimentaires attestent d’une abondance d’eau et de nourriture, restes qui étaient indifféremment mélangés aux autres déchets. De plus, cette anthropophagie était continue dans le temps et non ponctuelle puisqu’elle se retrouve dans plusieurs niveaux géologiques. Enfin, ce cannibalisme ne se limitait pas à sa forme ‘classique’ à l’égard des rivaux, mais se pratiquait principalement à l’encontre des enfants et adolescents [32] !

d) Le meurtre chez les Yanomamis représente environ 30 % des causes de décès parmi les hommes adultes, et environ 40 % de ces mêmes hommes ont participé à un homicide. Ces comportements ne sont guères motivés par la faim puisque ces tribus primitives amazoniennes vivent dans un environnement abondant en nourriture [33]. Comme point de comparaison, ce chiffre de 30 % est bien au-delà des 14 % d’adultes décédés dans un des pays ayant le plus dramatiquement souffert lors de la barbarie de la seconde guerre mondiale, la Pologne.

Cette réalité, on ne peut plus prosaïque, faite de meurtres, de vendetta, et de cannibalisme, nous renvoie bien loin des affirmations prétendant que ‘la brutalité a toujours provoqué la désapprobation et l’indignation des êtres humains’ (n°127). Reconnaître cette réalité omniprésente de la violence dans les sociétés sans État n’implique nullement adhérer à la vision de l’homme de Hobbes (‘L’homme est un loup pour l’homme’). Le marxisme n’a guère besoin de falsifier la réalité en légendes rousseauistes pour démontrer sa validité.

 

3) L’esclavage


Dans ses travaux préparatoires à la rédaction du Capital, Marx notait déjà avec beaucoup de perspicacité que : « La possibilité légale de se vendre et de vendre les siens en cas de nécessité était un droit fâcheusement universel ; en vigueur aussi bien dans le Nord que chez les Grecs et en Asie : la possibilité pour le créancier de faire du débiteur en retard sur le règlement de sa dette son esclave et de se faire payer autant qu’il était possible sur le travail de celui-ci ou sur la vente de sa personne était presque aussi répandue » [34] ! Marx nous signale ici que se vendre ou vendre les siens en cas de dettes insolvables était un droit fâcheusement universel ! Or, suite à de nombreuses études scientifiques faites depuis lors, l’on sait maintenant que l’esclavage pour dette était et est toujours une pratique très courante et très répandue de par le monde [35] ! Elle y domine toute la vie de la majorité des individus puisque c’est bien souvent jusqu’à leur mort que les hommes doivent travailler pour fournir les prestations matrimoniales indispensables à leur mariage et, à défaut, être réduit en esclavage pour dettes impayées. A nouveau, la réalité est très éloignée de cette double liste de « pulsions sociales » et « antisociales » établie à priori, et dont « les êtres humains » auraient « toujours reconnu la valeur ». En effet, « se vendre et vendre les siens », s’endetter à vie ou être réduit en esclavage afin d’assurer le paiement de ses prestations matrimoniales ne sont en rien l’expression de sociétés où existeraient des « pulsions sociales toujours reconnues », faites de « solidarité, sensibilité, générosité, soutien aux nécessiteux, honnêteté, attitude amicale et bienveillance, modestie, solidarité entre générations », mais de sociétés où les rapports sociaux entre les hommes sont déjà déterminés par la production de richesses et d’énormes inégalités sociales ! L’approche matérialiste et historique de Marx par l’analyse des rapports sociaux entre les hommes permet d’expliquer le monde tel qu’il est dans sa réalité, alors que l’approche morale du texte Marxisme et éthique du CCI reconstruit cette réalité de façon à la faire correspondre à des schémas idéels et préétablis.

 

4) Les contradictions sociales


Pour qui étudie les conceptions morales des sociétés les plus ancestrales constatera aisément qu’elles expriment les contradictions des rapports sociaux que les êtres humains ont établi entre eux à cette époque, et, surtout, qu’elles légitiment la prédominance de groupes sociaux particuliers dans différents aspects fondamentaux de la vie de ces communautés. Ainsi, une interprétation raisonnée des mythologies et de l’art paléolithique pariétal permet d’en restituer certains éléments : monopole des armes par les hommes, division sexuelle précoce entre des hommes chasseurs et des femmes pratiquant la cueillette, etc. De même, si l’on se tourne vers les conceptions morales des peuples les plus primitifs existant sur terre (les aborigènes australiens), les règles qu’elles codifient légitiment la domination des vieux sur les jeunes et des hommes sur les femmes. Tout ceci reflète certains aspects de l’organisation sociale primitive : gérontocratie et exclusion des femmes de la chasse et des sphères du politique et du sacré. Ces dernières ne détiennent aucun pouvoir économique, ne décident de presque rien dans la société, n’ont pas accès aux objets et cérémonies sacrées, et les produits de leur cueillette reviennent de droit au mari [36] !

 

5) Les rapports entre générations


D’après le texte Marxisme et éthique du CCI, les sociétés humaines auraient « toujours reconnu la solidarité entre générations », plus même, les sociétés anciennes auraient été fondées sur ‘les liens de solidarité entre générations’ : le « capitalisme a progressivement dissout les liens de solidarité qui étaient à la base de la société humaine ». Ces affirmations, jamais démontrées, sont toutes contredites par l’examen des rapports sociaux réels entre les hommes : quelques exemples puisés dans une abondante littérature scientifique suffiront :

a) Avoir le droit de fonder une famille passe par l’acquittement d’un lourd fardeau de la part des jeunes envers la génération des parents dans la plupart des sociétés traditionnelles. Un fardeau tellement lourd que, s’ils sont incapables de s’en acquitter, ils sont bien souvent réduits en esclavage ! Ainsi, le gendre doit toute sa vie rapporter le produit de sa chasse à sa belle famille chez les aborigènes australiens : c’est une véritable ‘rente viagère’ en contrepartie de futures épouses [37]. Ces dernières sont accessibles après un ‘service pour la fiancée’ chez les Bushmen et nombre de tribus primitives d’Amérique du sud [38]. Enfin, le système le plus généralisé et encore très actuel de par le monde, c’est le ‘prix de la fiancée’. Dans ce cas, lorsque ce montant est particulièrement lourd et qu’il ne peut s’en acquitter, le gendre est bien souvent réduit en esclavage pour dette. Telle est la véritable origine de l’esclavage dans l’histoire de l’humanité, bien avant celui de l’Antiquité.

b) Le passage au système de la dot dans l’ère eurasiatique n’a guère allégé cette domination parentale. Ainsi, le droit absolu de vie ou de mort du père sur ses enfants (même devenus adultes) était un droit fondamental et relevait de la sphère purement privée dans la Rome républicaine. Ce droit allait même jusqu’au transfert possible de ce pouvoir paternel sur sa fille, au mari de celle-ci ! De façon plus générale, ce patria potestas (puissance du père), comme on l’appelait alors – et qui paraît bien exorbitant à nos yeux [39] –, est en réalité un rapport social très généralisé de par le monde [40].

c) Avec l’apparition de la richesse matérielle, le travail humain a pu devenir pour celui qui le captait une source d’enrichissement, et les victimes de cette évolution ont tout naturellement été ceux que leur faiblesse sociale prédisposait à jouer ce rôle : prisonniers de guerre, femmes, etc. Ce fut aussi le cas pour les enfants : ils sont bien souvent considérés comme la propriété entière de leurs parents, et bien des sociétés néolithiques ne répugnaient pas à les vendre en esclavage – les chroniqueurs de l’Empire romain nous renseignent abondamment sur cette pratique. N’oublions pas également que l’infanticide a longtemps été une affaire purement privée (relevant de la seule décision de la femme) … alors qu’il est considéré comme un des pires crimes aujourd’hui et relevant du droit commun. Moins connue, car moins étudiée, la situation des enfants au Moyen-âge : ils y faisaient l’objet de trafics divers (main d’œuvre, objets sexuels, etc.).

d) Ce pouvoir des parents sur leurs enfants est tellement grand chez les aborigènes australiens que nombre d’anthropologues n’ont pas hésité à parler de gérontocratie. Les vieux s’y arrogent le monopole de l’accès aux femmes : un jeune ne peut espérer se marier qu’une fois la trentaine atteinte. Le sacré – autre dimension fondamentale de cette société – est également monopolisé par les hommes âgés : les jeunes hommes doivent subir des rites de révélation qui sont véritablement vécus comme des épreuves terrifiantes, etc.

e) A l’inverse, « Dans différents groupes à travers le monde on a décrit la coutume de mettre fin à la vie des vieillards quand ceux-ci deviennent incapables de mener une existence normale ou représentent une charge trop lourde » [41] ! Ainsi, devenus plus une charge qu’un apport à un certain âge, certaines peuplades du monde arctique abandonnent purement et simplement sur la banquise leurs membres trop âgés en les laissant mourir dans d’atroces douleurs ! En Nouvelle-Guinée, le devoir filial chez les Papous impose à un fils aîné de provoquer la mort de ses parents quand ceux-ci deviennent vieux et infirmes. De même, les Bushmen âgés et impotents sont abandonnés dans un fragile enclos de broussailles jusqu’à ce que la faim et les hyènes en viennent à bout [42] ! Enfin, voici ce qu’en dit M. Singleton, professeur d’anthropologie sociale à l’université de Louvain : « …ce qu’on sait des philosophies et pratiques « troisième âge » de leurs homologues de la préhistoire et de l’histoire, porterait à croire qu’ils ne pouvaient pas se permettre le luxe de soins gériatriques très poussés ! Le parricide aussi bien que l’infanticide étaient apparemment inclus dans le prix de ces modes de production et de reproduction… On a beaucoup parlé de l’infanticide chez les « Primitifs », assez peu de son pendant du côté des vieux … celui de l’abandon des faibles ou l’assassinat des vieux. Chez les Aché, chasseurs nomades du Paraguay, les vieilles savent qu’à partir du moment où elles n’arrivent plus à maintenir le rythme de marche de leurs familiers, elles risquent à tout moment d’avoir le crâne brisé « d’un coup de hache de pierre » porté par un jeune, désigné pour la tâche. Un vieux sur le déclin sera nourri, mais pas au-delà des limites du raisonnable. Un jour « on l’abandonnera au pied d’un arbre, en lui laissant un feu allumé. Là il attendra patiemment la mort ». Un enfant gravement malade sera laissé ainsi avec encore moins d’égards. (…) Les Indiens de l’Amérique du Nord ne se montraient pas plus tendres envers les représentants terminaux du troisième âge que leurs homologues du Sud. (…) Cette coutume cruelle qui consiste à abandonner les vieillards est pratiquée par presque toutes les tribus » [43].

Le texte du CCI affirme que « avec l’apparition des sociétés agricoles sédentaires, les vieux ne sont plus tués mais chéris comme ceux qui peuvent transmettre l’expérience », en réalité, il n’en n’est rien car il s’avère que « Le géronticide, direct ou indirect existe aussi chez des sédentaires. L.V. Thomas a eu connaissance de vieux riziculteurs Diola de la Casamance au sud du Sénégal, qui, suite à une fête d’adieu, partaient volontairement mourir seuls en forêt une fois leurs forces épuisées. (…) L.V. Thomas … signale cette même délicatesse suicidaire dans l’Oubangui (…) On sait que les vieux Nartes légendaires mettaient « eux-mêmes un terme à leur vie… en se faisant précipiter du haut d’un rocher » (…) Chez les Swazi, un peuple pasteur de l’Afrique du Sud, des vieillards tout à fait séniles étaient couchés par terre à l’entrée d’un kraal et le bétail rentrant les piétinait à mort ; pour les vieilles swazi, on mettait dans leur bière des morceaux de polenta durcie qui les étouffaient » [44]. Nous sommes très loin ici des postulats sur « l’aptitude au dialogue et la solidarité entre générations » dans les sociétés traditionnelles !

f) A ce propos, nombre de scénarios reconstituant l’anthropogenèse de l’homme soulignent ce fait incontestable que, contrairement aux autres espèces, le nouveau né humain requiert plus de soins et de protection du fait de sa naissance prématurée. A partir de ce constat objectif, plusieurs suppositions ont été extrapolées concernant l’amour maternel, le matriarcat et la solidarité qui auraient constitué la base des premières sociétés humaines. Cependant, ceci ne s’accorde, ni avec ce que l’on connaît des structures sociales dans les sociétés de singes supérieurs, ni de la place peu enviable de la femme au paléolithique et dans les sociétés primitives encore existantes, ni de l’infanticide comme moyen très général de régulation démographique, ni de la domination parentale, et particulièrement de celle du père, etc.

g) Enfin, dans l’immense majorité des sociétés anciennes jusqu’à un passé fort récent, et encore actuellement dans de nombreuses parties du monde, le mariage des jeunes adultes dépend totalement des parents, tant pour le choix des partenaires que pour ses conditions socio-économiques. Aujourd’hui, plusieurs millions de jeunes filles à peine pubères sont annuellement mariées de force à un mari qu’elles n’ont même pas encore vu avant la cérémonie nuptiale !

Ces quelques exemples illustrent les énormes hiatus qui existent entre la réalité et les énoncés purement spéculatifs du CCI sur « l’aptitude au dialogue » dans les sociétés traditionnelles, sociétés qui auraient « toujours reconnu la solidarité entre génération » : « les relations entre générations sont le terrain privilégié, depuis les temps anciens, pour forger l’aptitude au dialogue » (n°131) ! Ils relèvent d’une démarche idéaliste consistant à reconstruire toute l’histoire des hommes à l’image d’une conception préconçue d’un monde moral à l’origine de l’humanité.

 

V - Marxisme et analyse scientifique


Les faits en eux-mêmes n’ont aucune signification, c’est toujours leur interprétation qui leur donne sens. C’est pourquoi le marxisme a toujours rejeté l’empirisme, c’est-à-dire la démarche consistant à partir de la réalité empirique et à penser la vérité comme y étant entièrement contenue. C’est pourquoi aussi, tout comme pour la démarche scientifique, le marxisme accorde une importance toute particulière à la spéculation théorique. Non seulement elle est à l’origine de la démarche scientifique dans la formulation de ses hypothèses explicatives, mais également à la base du critère de vérité dans le choix opéré entre théories concurrentes ou alternatives. Cependant, les énoncés et raisonnements théoriques ne sont que pures spéculations et idéalisme s’ils ne sont pas validés dans ou par la réalité : leur faire passer l’épreuve des faits constitue une étape tout aussi fondamentale dans la démarche scientifique. C’est dans la capacité heuristique à restituer la réalité concrète en un tout cohérent que réside le critère fondamental permettant de choisir entre des théories concurrentes ou alternatives.

C’est à cette validation empirique que nous avons procédé afin de pouvoir jauger les thèses du marxisme et celles du CCI sur la morale. C’est cette validation qui est totalement absente dans le texte du CCI. Ceci constitue la sixième divergence que ce dernier développe avec le marxisme : « La philosophie du réel se présente comme idéologie pure, déduction de la réalité non à partir d’elle-même, mais à partir de la représentation » (Anti-Dühring). Cette divergence est fondamentale en ce qu’elle recouvre une question de méthode : elle différencie le marxisme de l’idéalisme. C’est ce que nous analyserons dans la suite de cette contribution qui paraîtra dans le prochain numéro.

 

C.Mcl (à suivre…)

 

PS : A la lecture de notre contribution critique, le lecteur n’aura pas manqué de constater que les thèses développées dans le texte Marxisme et éthique du CCI sont typiques des faiblesses que nous avons relevées dans l’éditorial de ce numéro. Dès lors, la publication par Controverses de notre texte est d’autant plus opportune qu’il a été écrit il y a un an et demi, et qu’il s’est vu refusé de parution par le CCI. Or, très attachés comme l’était Marc Chirik à la plus stricte observation des « règles de démocratie dans la discussion » [45], et considérant, comme Rosa Luxemburg, que « la liberté, c’est toujours la liberté de celui qui pense autrement » [46], nous remercions Controverses d’offrir ses colonnes à l’expression de la prise de position des camarades qui en sont à l’origine. Étant donné son ampleur, elle sera publiée en deux parties [47].

 

[1Marx, Introduction générale à la critique de l’économie politique, 1857, La Pléiade – Économie I : 236.

[2Lettre à Lassalle du 12 novembre 1858 à propos de son ouvrage sur la Critique de l’économie politique (1859) que Marx considérait comme « le résultat de quinze années d’études, donc du meilleur temps de ma vie ».

[3Marx, Introduction à la Contribution à la critique de la philosophie du droit de Hegel [1844], Éditions Sociales : 157.

[4Marx, Thèses sur Feuerbach, La Pléiade – Philosophie : 1032. Bien que la traduction de La Pléiade soit entièrement correcte, nous avons cependant repris celle proposée pour les deux dernières phrases par Lucien Sève dans son ouvrage L’homme ? (La Dispute, 2008 : 64), car elle restitue encore mieux le texte original.

[5« La façon dont les individus manifestent leur vie reflète très exactement ce qu’ils sont. Ce qu’ils sont coïncide donc avec leur production, aussi bien avec ce qu’ils produisent qu’avec la façon dont ils produisent » (Marx et Engels, L’Idéologie allemande, Éditions Sociales, 1982 : 70-71).

[6« Jérémie Bentham [1748-1832] est un phénomène anglais. (…) Le fameux principe d’utilité n’est pas de son invention. (…) Pour savoir, par exemple, ce qui est utile à un chien, il faut étudier la nature canine, mais on ne saurait déduire cette nature elle-même du principe d’utilité. Si l’on veut faire de ce principe le critérium suprême des mouvements et des rapports humains, il s’agit d’abord d’approfondir la nature humaine en général et d’en saisir ensuite les modifications propres à chaque époque historique. (…) C’est la sottise bourgeoise poussée jusqu’au génie » (Marx, Le Capital, La Pléiade – Économie I : 1117-1118).

[7Introduction à la critique de l’économie politique, La Pléiade – Économie I : 236.

[8Nous reviendrons dans la seconde partie de cette contribution pour préciser certains contours et implications de cette conception.

[9Avant-propos à la critique de l’économie politique (1859), La Pléiade – Économie I : 273.

[10Le Manifeste Communiste, 1848.

[11Pour le lecteur qui voudrait rapidement se faire une idée concernant l’analyse marxiste de la morale, nous l’encourageons vivement à prendre connaissance des chapitres neuf, dix et onze de L’Anti-Dühring (livre signé par Engels, mais élaboré et coécrit avec Marx), ainsi que de l’ouvrage de Trotski Leur morale et la nôtre.

[12Anti-Dühring, Engels (et Marx).

[13Anti-Dühring, Engels (et Marx).

[14Thèses développées par le CCI Courant Communiste International dans son texte Marxisme et éthique paru en 2007 et 2008 dans les Revues Internationales n°127-128 : http://fr.internationalism.org/rint127/ethique_morale.html.

[15Nous ne prétendons pas résumer ici tous les aspects des thèses défendues dans le texte Marxisme et éthique du CCI, ni recenser les éléments corrects qui y sont rappelés, mais essentiellement les éléments clés qui feront l’objet de notre discussion. Toutes les citations sans référence en proviennent, les autres citations sont indiquées par leurs sources, et un chiffre à côté entre parenthèse indique le numéro de la Revue Internationale d’où elle a été tirée.

[16Extrait de l’article sur « Le darwinisme social, une idéologie réactionnaire » (CCI en ligne 2009).

[17Idem.

[18Marx, Travail salarié et capital, La Pléiade – Économie I : 212.

[19Pour de plus amples développements sur le matérialisme historique et dialectique, lire notre article sur ce sujet dans le n°1 de cette revue http://www.leftcommunism.org/spip.php?article56

[20Sur cette question (et bien d’autres) concernant les bases économiques et politiques des différentes sociétés, le lecteur lira avec grand intérêt l’ouvrage d’Alain Testart : Éléments de classification des sociétés, 2005, aux éditions Errance.

[21Les rapports sociaux et les contradictions sociales étaient également au centre des sociétés sans richesse, mais elles n’avaient pas cette dernière comme enjeu central (ni donc la productivité du travail et l’extraction de surtravail). Telle est la raison principale expliquant la stagnation globale des forces productives durant l’époque du communisme ‘primitif’.

[22Cette célèbre formule du Manifeste doit également être prise dans son esprit, et non à la lettre, car les classes sociales sont apparues bien tardivement au cours de l’histoire humaine. En effet, les antagonismes et contradictions sociales y ont revêtu bien d’autres formes dans le passé : ordres, castes, clientèles, dépendants, etc.

[23Marx, Misère de la philosophie, La Pléiade – Économie I : 35-36.

[24Note de Lénine au livre de N. Boukharine Économie de la période de transition, EDI, p.82.

[25Leur morale et la nôtre.

[26Leur morale et la nôtre.

[27Idem.

[28Extrait de l’article sur « Le darwinisme social, une idéologie réactionnaire » (CCI en ligne 2009).

[29Idem.

[30Lire l’excellente synthèse faite par Lawrence Keeley sur cette question : « War Before Civilization », Oxford University Press, 1996 (disponible en français aux éditions du rocher sous le titre « Les guerres préhistoriques », 2002). Pour ceux qui voudraient se documenter un peu plus profondément, nous pouvons aussi conseiller les deux lectures suivantes : « Le droit et la guerre : Autour du droit de pillage » (Alain Testart, Droit et Culture n°45, p.9-30, L’Harmatan, 2003) et « Le sentier de la guerre » (Jean Guilaine et Jean Zammit, Ed. Seuil).

[31M. Delafosse, Les frontières de la Côte d’Ivoire et du Soudan, Paris, Masson, 1908 : 155.

[32C’est le premier cas de cannibalisme bien documenté de l’histoire de l’humanité. Il était pratiqué par Homo antecessor qui vécu avant l’homme de Neandertal et Homo sapiens. Il s’est installé il y a environ 800.000 ans dans les grottes d’Atapuerca, probablement après une longue migration depuis l’Afrique et via le Proche-Orient, l’Italie puis la France. Il pratiquait la chasse, la cueillette et fabriquait des outils.

[33Napoleon Chagnon, Yanomamö, the last days of Eden, 1992.

[34Grundrisse : chapitre sur les Formes antérieures à la production capitaliste, éditions sociales : 439. Il est fait référence ici à un temps très ancien, bien avant l’antiquité classique, un temps où l’esclavage pour dette n’avait pas encore été aboli par la Loi des XII tables. Marx s’appuie ici sur l’historien allemand B.G. Niebuhr.

[35Lire Alain Testart : L’esclave, la dette et le pouvoir, édition Errance, 2001, Paris.

[36Sur toutes ces questions, le lecteur lira avec grand intérêt l’article d’Alain Testart : La femme préhistorique. La femme chez les chasseurs-cueilleurs en ethnologie, L’Archéologue n°87, 2006-2007. Une bonne synthèse sur tout ce que l’on connaît sur la femme dans la préhistoire se trouve dans : La femme des origines, Claudine Cohen, Belin, 2003. Enfin, et surtout, la brillante synthèse réalisée par Christophe Darmangeat dans son ouvrage « Le communisme primitif n’est plus ce qu’il était… » aux éditions Smolny, 2009.

[37Lire l’article d’Alain Testart sur « Manière de prendre femme en Australie », L’Homme, n°139, 1996 et disponible à l’adresse Web :
http://alaintestart.com/publications.htm#textes.

[38Le service pour la fiancée est une coutume relativement familière puisque son modèle se rencontre dans la Bible, dans l’histoire de Jacob qui travailla sept ans au service de son beau-père, Laban, pour obtenir Léa, l’aînée de ses filles, puis sept ans encore pour Rachel, la cadette, dont il était amoureux. Ce service pour la fiancée correspond à la réunion des quatre conditions suivantes : (1) le gendre se met au service et sous les ordres de son beau-père pour exécuter tous les travaux qu’il réclame, (2) il réside avec lui, (3) pendant un temps assez long, plusieurs mois ou des années, (4) mais toujours limité et au terme duquel il pourra emmener sa femme en exerçant sur elle tous les droits maritaux qui sont normalement attachés au mariage (Alain Testart, Eléments de classification des sociétés, éditions Errance, 2005 : 71).

[39Plus précisément, cette puissance du père sur toute sa descendance agnatique consistait, entre autre, en un droit pour ce dernier de les frapper de tous les châtiments corporels, un droit de vie et de mort, de les abandonner, d’autoriser ou de refuser leur mariage et de les aliéner (ce droit de les aliéner n’allait cependant pas jusqu’à les vendre comme esclave, citoyenneté romaine oblige … mais c’est une bien maigre consolation en regard de cette toute puissance paternelle) ! En effet, ceci dépasse – et de loin – la simple notion d’autorité parentale : c’est un pouvoir de domination absolu et sans réciprocité aucune. Ainsi, les dépendants du père de famille n’ont aucun droit à son encontre ! Que le père disposait d’un droit absolu sur toute sa descendance – y compris de vie ou de mort – et qu’il puisse se faire de l’argent avec ses fils en les vendant, en louant ou en cédant leurs services en gage d’un prêt, illustre à suffisance que nous sommes très loin de cette histoire totalement idéalisée et reconstruite selon des schémas moraux préétablis que nous présente le texte du CCI.

[40Un seul exemple parmi des dizaines d’autres : les Tanala de Madagascar sont des sociétés « caractérisées par le pouvoir absolu du père qui impose la discipline et exploite ses rejetons » (Marc Abeles, Universalis) où « le père, et après lui l’aîné, exerce un pouvoir absolu. Il exploite le travail des fils et parfois frustre leurs besoins » (Mikel Dufrenne, Universalis).

[41Pierre Erny, Au fil de l’existence humaine. Premières approches en anthropologie, L’Harmattan, 2003 : 246.

[42Idem : 247-248.

[45« …il est nécessaire que toute l’organisation et la commission exécutive en premier lieu observent jalousement les règles de démocratie dans la discussion, les plus larges… » Marc Chirik, Bulletin intérieur de la Ligue de l’Opposition Internationale de Gauche du 10 avril 1932.

[46« C’est un fait absolument incontestable que, sans une liberté illimitée de la presse, sans une liberté absolue de réunion et d’association, la domination des larges masses populaires est inconcevable. […] La liberté seulement pour les partisans du gouvernement, pour les membres d’un parti, aussi nombreux soient-ils, ce n’est pas la liberté. La liberté, c’est toujours la liberté de celui qui pense autrement » (Rosa Luxemburg : La Révolution russe – 1918).

[47Sans rien changer à l’argumentation de fond par rapport au texte d’origine, quelques aménagements de structure ainsi que des intertitres y ont été apporté. La seconde partie de cette contribution sera publiée dans un prochain numéro de Controverses et paraîtra aussi sur le site Web.